C’est quoi la déflation ?
Pour le commun des mortels, l’inflation exprime la hausse régulière des prix à la con- sommation, réduisant le pouvoir d’achat ; d’où la nécessité de la hausse du revenu, et particulière- ment du salaire, pour, au moins, compenser la perte de pouvoir d’achat. C’est quoi alors la déflation ? Une définition simple, correspondant à la conception que peut avoir le commun des mortels, est la suivante : « La déflation est le gain du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une diminution générale et durable des prix ; c’est une inflation négative » (Insee). Ces définitions n’expliquent pas les mécanismes à l’œuvre et peuvent donner lieu à confusion, voire à des conclusions erronées. Par exemple, si on considère la déflation comme une simple baisse des prix, on pourra considérer qu’elle est utile au monde du travail, surtout dans les périodes de faible progression, stagnation, voire baisse des salaires et des pensions de retraite, comme c’est le cas actuellement, car la baisse des prix va améliorer leur pouvoir d’achat. Il se trouve que ce gain apparent du pouvoir d’achat, du fait de la baisse des prix, est lié à des mécanismes plus fondamentaux, mettant en péril l’emploi, l’investissement et la production. C’est ce qui s’est passé, par exemple, entre les deux guerres mondiales. C’est aussi ce qui risque de se produire en Europe. Le risque est d’autant plus sérieux que certains pays européens comme la Grèce ou l’Espagne se trouvent déjà dans une spirale déflationniste.
« Désinflation » ou déflation salariale ?
Pourquoi se trouve-t-on dans cette situation ? A entendre le président de la République, le Premier ministre et son gouvernement, la faute viendrait surtout de l’extérieur ; c’est ce qu’a signifié le ministre des Finances à la conférence précitée : « Vérité sur la croissance européenne d’abord. L’effort de réduction des déficits mené ces dernières années à travers toute l’Europe a continué de peser sur l’activité. De nouveaux facteurs d’incertitude, notamment géopolitiques, sont apparus. » Si M. Sapin a raison de rappeler que les poli- tiques d’austérité ont leur part de responsabilité dans cet état des choses, il cherche néanmoins à mettre en sourdine, à travers cette référence, la responsabilité de la stratégie et des politiques mises en œuvre en France par les gouvernements et par le patronat depuis plusieurs décennies. Si les économies européennes, y compris la nôtre, se trouvent dans une spirale déflationniste, c’est à cause de la pression permanente exercées sur le monde du travail soi-disant pour réduire les coûts et particulièrement les « coûts salariaux », et ce, afin d’améliorer la compétitivité. Pour tracer l’origine des difficultés actuelles, il faut remonter à la période de la mise en place de la politique dite de « désinflation compétitive » initiée au début des années 1980. À l’époque, le taux d’inflation avoisinait les 14 % en France (cf. graphique n°1) (1). Le « tournant politique », décidé par le pouvoir en place à l’époque, affichait comme objectif de rendre l’économie française plus compétitive en réduisant les coûts et, partant, les prix ; d’où la notion de « désinflation compétitive ». Or, cette politique était principalement fondée sur la pression sur le travail (modération salariale, conditions de travail dégradées, chômage et précarité). Elle ne postulait que pour améliorer l’emploi et l’investissement, il fallait d’abord augmenter les profits. On connaît le résultat : l’appareil productif s’est affaibli, la recherche et les compétences ont été sacrifiées. Cette même logique dominant l’Union européenne et particulièrement la Zone euro, les choix européens ont amplifié la pression sur le travail partout en Europe. Ces politiques ont donc été de nature à peser sur le potentiel de croissance et d’activité économique, avec des conséquences graves dans le domaine social. Le tableau ci-dessous met en évidence l’effet négatif de la politique de désinflation compétitive sur la croissance économique. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le taux de croissance de l’économie française est devenu négatif trois fois : en 1975, en 1993 et en 2009. Il importe de noter que la récession la plus forte (en 2009 où le produit intérieur brut a chuté de 2,6 % en volume) coïncide aussi avec l’inflation la plus faible parmi ces trois dates.
Parmi les choix particulièrement néfastes opérés pendant cette période, il faut mentionner le dogme de faire de la stabilité des prix le seul objectif affiché de la Banque centrale européenne (BCE). Pire encore, conformément à la théorie libérale, la modération salariale (et son corollaire, un chômage massif et persistant) a été considéré comme le facteur garantissant la stabilité des prix. Si aujourd’hui on nous parle du « risque de déflation », la réalité est que nous sommes dans la déflation salariale depuis déjà plusieurs années, voire plusieurs décennies.
La contrepartie de cette déflation salariale a été une inflation des prix des actifs financiers et de l’immobilier. Cette contradiction (déflation salariale / inflation financière) est à l’origine de la crise financière et économique qui sévit dans le monde et particulièrement en Europe depuis 2008. Et depuis, la hausse du prix des actifs financiers et de l’immobilier tend à se ralentir, voire à baisser dans certains cas. En d’autres termes, une certaine déflation financière s’ajoute depuis quelque temps à la déflation salariale qui est à l’œuvre depuis de nombreuses années.