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Alors que la Grèce vient de soumettre officiellement une demande officielle d’assistance au mécanisme européen de stabilité (MES) de la zone euro, les négociations continuent à Bruxelles sous l’œil des Européens, dubitatifs et parfois mal informés. Le tour des idées reçues qui font florès depuis quelques mois…
La Grèce a effectivement bénéficié d’une aide européenne. En 2009, la Grèce a découvert que son déficit était bien plus important qu’escompté. Le pays est alors très endetté auprès des marchés financiers — et notamment des banques françaises, qui possèdent près de 60 milliards d’euros de dette grecque.
Le plan de 2010 va donc consister, pour plusieurs Etats et le Fonds monétaire international (FMI), à prêter de l’argent à la Grèce pour qu’elle rembourse ses dettes bancaires, afin, entre autres, d’aider lesdites banques, déjà très en difficulté. La dette grecque sera donc transférée, du privé vers des prêts émis par des Etats et des organismes internationaux.
Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) détient aujourd’hui près du tiers de la dette grecque : 130 milliards d’euros environ. Mais d’où vient l’argent du FESF ? En réalité, pas vraiment des Européens : lui-même emprunte de l’argent sur les marchés, mais à un taux bien inférieur à celui de la Grèce, car le FESF bénéficie de la confiance des investisseurs.
Les Etats, de façon bilatérale, ont par ailleurs prêté de l’argent à la Grèce, en général en faisant eux-mêmes des emprunts sur les marchés — à des taux également meilleurs que ceux de la Grèce. La France a ainsi prêté 11,4 milliards d’euros, l’Allemagne, 15,2.
Dernier point à rappeler : qu’il s’agisse du FESF ou des prêts bilatéraux, ce sont bien des prêts, non des dons : la Grèce doit honorer des intérêts sur ces sommes.
Dire que la Grèce n’a pas fait d’efforts est un mensonge. Au contraire, les Grecs ont subi une politique d’austérité assez violente en contrepartie des prêts concédés au pays. Pas moins de huit plans depuis 2010, aux mesures variées et douloureuses, ont été mis en place : hausses de TVA, des impôts, des taxes ; gel, puis baisse des retraites et des traitements des fonctionnaires ; libéralisation de grands pans de l’économie, etc.
En cinq ans, le peuple grec a fortement subi la crise dans sa vie quotidienne, avec toutes les difficultés, voire les tragédies, que cela implique. Selon une note de France Stratégie en février, entre 2008 et 2013, le nombre de pauvres a crû de 30 %, le taux d’emploi a chuté de 13 %, les dépenses par élève ont diminué de 7 %…
La Grèce vient d’ailleurs de s’engager, mercredi, à réformer son système de retraites et sa fiscalité pour obtenir de ses partenaires européens un prêt de trois ans couvrant les remboursements de sa dette.
Parmi les critiques récurrentes adressées à la Grèce, il y a le niveau de fraudes pratiquées dans le pays, mais aussi les exemptions fiscales dont bénéficient certaines catégories de population, par exemple l’Eglise orthodoxe ou (jusqu’en 2011) les armateurs.
Qu’en est-il ? Une étude de 2012, réalisée par des économistes de l’université de Chicago, évaluait la fraude à 28 milliards d’euros, soit environ 10 % du PIB grec (242 milliards de dollars en 2013). Mais il s’agissait d’une projection au niveau national d’« anomalies » constatées au sein d’une banque grecque, concernant essentiellement les professions libérales.
Selon le dernier classement de Transparency International, la Grèce est classée 69e sur 175 pays ; ce qui la place au même niveau que l’Italie, la Bulgarie et la Roumanie dans l’Union européenne, c’est-à-dire en dernier. Mais les observateurs pointent dans le rapport régional que le pays a fait de sérieux efforts, efforts soulignés également par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son rapport de mars 2015.
A la suite de la signature d’un accord de coopération, le 12 mars 2015, le secrétariat de l’OCDE fournit d’ailleurs une assistance technique pour aider la Grèce dans la conception et la mise en œuvre d’un large éventail de réformes structurelles, y compris pour la promotion d’une culture de la transparence et de l’intégrité. Un nouveau ministère pour la lutte contre la corruption a aussi été créé en janvier à Athènes.
La question a souvent été posée : la Grèce devait-elle intégrer la zone euro ? L’entrée dans la zone monétaire unique de l’UE s’est faite à partir de 1995. En 1998, onze pays sont admis dans l’euro, en vertu des fameux « critères de convergence » : un déficit qui ne doit pas excéder 3 % du PIB, notamment. Mais la Grèce n’en fait pas partie, justement car son déficit est trop élevé.
Au début des années 2000, les Grecs souhaitent vivement adopter l’euro alors que le pays affiche des performances certaines : une inflation et un déficit en baisse, une Bourse en forme… Les agences de notation réévaluent le pays, tandis que plusieurs rapports européens se montrent très positifs pour le pays. Il faut dire que le gouvernement grec s’est adjoint les services de la banque Goldman Sachs, qui lui fournit des conseils pour limiter le montant affiché de sa dette.
Athènes n’est pas la seule : Rome ou même Paris ont su se montrer inventifs pour afficher un déficit sous la barre des 3 %. A l’époque, nombre de gouvernements en Europe sont favorables à une zone large, et donc tendent à assouplir les critères.
Cet argument est ressorti ad nauseam. Il est pourtant très discutable : oui, la Siryza est une coalition de gauche radicale, comparable au Front de gauche français, résolument à la gauche du Pasok, l’équivalent grec du PS. Mais parler de coalition avec l’extrême droite est exagéré : afin de gouverner après les élections de janvier, Syriza avait besoin d’un allié pour atteindre la majorité absolue qu’elle ne pouvait atteindre seule, deux sièges lui faisant défaut.
La formation a dû se résoudre à une alliance contre nature avec le parti des Grecs indépendants (ANEL) et son leader, le sulfureux Panos Kammenos, virulent contempteur de l’austérité et de la troïka (UE-FMI-BCE), qui sombre parfois dans le conspirationnisme. L’ANEL est un parti très à droite, partenaire de Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan. Néanmoins, il n’est pas le plus à droite du spectre : Aube dorée, parti néonazi, connaît davantage de succès dans les urnes.
Enfin, parler d’une coalition est quelque peu abusif : l’ANEL n’a eu qu’un seul ministère (la défense) et c’est bien Syriza, et son programme très à gauche, qui sont au pouvoir
Selon les statistiques fournies par l’OCDE, les Grecs ont travaillé en 2014 quelque 2 042 heures par travailleur en moyenne du 1er janvier au 31 décembre.
La même année, les travailleurs allemands ont effectué en moyenne 1 371 heures, 1 489 heures pour les Français et 1 677 pour les Britanniques. Ces chiffres étant relativement stables depuis 2010.
● France : 1 535 heures ● Allemagne : 1 452 heures ● Grèce : 2 108 heures ● Royaume-Uni : 1 700 heures ● Moyenne des pays de l’OCDE : 1 843 heures Source : OCDE
Dans tous les pays membres de l’OCDE, la moyenne pour 2014 s’établit à 1 770 heures en moyenne par travailleur. Et si les Grecs sont parmi les Européens qui ont travaillé le plus d’heures l’an passé, ils se placent juste derrière la Corée du Sud et ses 2 163 heures travaillées en moyenne, mais qui sont en baisse depuis quinze ans.
En réalité, on l’a vu, la dette grecque, qui était essentiellement privée (contractée auprès des banques) avant 2010, est devenue une dette auprès de la Banque centrale européenne, du FESF, du FMI et des Etats de la zone euro. En cas de défaut de paiement, qui entraînerait à terme pour la Grèce une sortie de la zone euro, ce ne serait donc pas les banques mais ces organes publics qui seraient touchés.
Ce défaut de paiement, le fameux Grexit, n’est pas le scénario voulu par Alexis Tsipras, qui souhaite une renégociation de la dette grecque. « Nous souhaitons un accord, mais avec une juste répartition du fardeau », a-t-il déclaré ce mardi 8 juillet devant le Parlement européen.