Grand-messe du libéralisme, le Forum économique mondial de Davos (Suisse) se déroule, cette année, du 17 au 20 janvier. Pour l'occasion, l’ONG Oxfam publie son dernier rapport sur les inégalités économiques dans le monde, intitulé Une économie au service des 99%. Depuis 2015, les 1% les plus prospères détiennent autant de richesses que le reste de la planète. En France, ces 1% les plus aisés possèdent 25% des richesses nationales. «Il est indécent que tant de richesses soient concentrées dans les mains d’une si infime minorité, quand on sait qu’1 personne sur 10 dans le monde vit avec moins de 2 dollars par jour, alerte Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam France. Les inégalités relèguent des centaines de millions de personnes dans la pauvreté, fracturent nos sociétés et affaiblissent la démocratie.»

Des entreprises mises en cause

L'étude attribue ces inégalités, tout d'abord, aux pressions exercées par les entreprises sur les travailleurs, pour limiter leurs coûts salariaux et augmenter leurs bénéfices. «Tandis que de nombreux PDG, souvent rémunérés en actions, ont vu leur rémunération s’envoler, les salaires de base des producteurs et des travailleurs ont très peu évolué, voire baissé dans certains cas», précise le rapport. Les revenus des 10% les plus pauvres ont augmenté de moins de 3 dollars par an, entre 1988 et 2011, tandis que l'augmentation des revenus des 1% les plus riches a été 182 fois supérieure.

Certaines entreprises optimisent aussi leurs bénéfices en allégeant le plus possible leur charge fiscale. Pour cela, toutes les techniques d'évasion fiscale sont bonnes, notamment les fiscalités attrayantes que proposent certaines pays. «Le Kenya perd, chaque année, 1,1 milliard de dollars à cause de l'évasion fiscale, soit près du double du budget de la santé dans un pays où 1 femme sur 40 décède lors de l'accouchement.» A l'échelle du continent, l'Afrique subit un manque à gagner fiscal de 14 milliards de dollars par an.

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Oxfam critique aussi les entreprises qui favorisent l'enrichissement de leurs actionnaires, à celui de leurs salariés. Elles sont nombreuses. Cette année, par exemple, les quarante premières capitalisations de la place financière parisienne ont distribué 57,1 milliards d’euros de dividendes, soit le plus haut niveau jamais atteint depuis 2007, à la veille du krach.

Des riches toujours plus riches

Les dérives de l'économie de marché mondialisée sont pointées du doigt. «Nous avons pu observer à quel point la corruption et la connivence faussent les marchés aux dépens des citoyens ordinaires, et comment la "productivité" excessive du secteur financier exacerbe les inégalités», développe leur rapport. Oxfam n'est pas la seule organisation à mettre en évidence les conséquences néfastes du système économique mondialisé tel qu'il fonctionne actuellement. «Les coûts du néolibéralisme en termes de croissance des inégalités sont flagrants. […] En plus d'augmenter les probabilités d'une krach, le libre-échange augmente les inégalités», soulignaient des économistes du FMI, dans un rapport publié en juin. 

 

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Le super enrichissement des entreprises se répercute sur celui de certains individus. En 2016, 1 810 personnes étaient millardaires dans le monde, réunissant 6 500 milliards de dollars entre leurs mains. Grâce à des manipulations fiscales et de bons placements, les plus prospères font croître leurs richesses mécaniquement et rapidement. Bill Gates, l’homme le plus riche de la planète (75 milliards de dollars), a ainsi augmenté sa fortune de 50 % depuis qu’il a quitté Microsoft en 2006, selon le classement Forbes. Par ailleurs, un tiers de la fortune des milliardaires dans le monde provient d’héritages.

«Il faudrait commencer par créer des entreprises et une économie où il n’est pas possible d’amasser des fortunes excessives : par exemple, en limitant les salaires des dirigeants et en encourageant des modèles d’entreprise qui n’accordent pas de récompense indue aux actionnaires, détaille le rapport d'Oxfam. Deuxièmement, il ne sera possible d’éliminer les richesses excessives que si des mesures sont prises pour mettre fin à l’influence indue que les élites exercent sur la politique et l’économie.»

Des Etats victimes et coupables

En avril 2013, la Banque mondiale a adopté deux objectifs ambitieux : mettre fin à l’extrême pauvreté mondiale et promouvoir la prospérité partagée partout dans le monde, de manière durable. Le but est de réduire la pauvreté d'une proportion 10,7% d’individus à l’échelle mondiale en 2013, à 3% en 2030. Pour cela, «il est important de réduire les inégalités car elles sont liées intrinsèquement à la réduction de la pauvreté absolue et une meilleure répartition de la prospérité», détaille un rapport publié en septembre par la Banque mondiale. 

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Que font les Etats dans tout ça ? «Les gouvernements ne sont pas impuissants face aux forces du marché, interpelle Manon Aubry. Quand les responsables politiques arrêteront d’être obsédés par le PIB et se focaliseront sur l’intérêt de l’ensemble de leurs citoyen-ne-s, et non seulement d’une élite, un avenir meilleur sera possible pour toutes et tous.» L’ONG propose, entre autres, de ne plus construire les politiques publiques sur des objectifs de croissance du PIB, mais de se baser sur d’autres références : l’indicateur de progrès véritable, l’indice du «vivre mieux» de l’OCDE ou encore l’indice du progrès social.

Aude Massiot Libération