Le président avait promis d’écrire aux français. Longue et creuse, sa lettre annonce un débat cadré, conçu pour diviser la mobilisation, où les Gilets jaunes sont invités à choisir les modalités d’une régression sociale prévue d’avance.
Dans sa lettre, Macron commence par rappeler que la France était l’une des nations « les plus fraternelles » et les « plus libres », « puisque chacun est protégé dans ses droits et dans sa liberté d’opinion, de conscience, de croyance ou de philosophie. », avant de condamner la violence en rappelant que son refus est la condition pour avancer.
Les intentions du gouvernement sont donc claires, opposer de façon radicale le Grand débat aux manifestations des Gilets jaunes. Un moyen de siffler la fin de la partie, comme le souhaite le gouvernement.
Surtout, le grand moment démocratique annoncé par Macron s’annonce particulièrement cadré.
Ainsi, Macron a beau affirmer : « Pour moi, il n’y a pas de questions interdites. Nous ne serons pas d’accord sur tout, c’est normal, c’est la démocratie. Mais au moins montrerons-nous que nous sommes un peuple qui n’a pas peur de parler, d’échanger, de débattre. », les termes du débat sont fixés d’avance et orientés dans une direction précise, celle du projet du gouvernement que Macron défend depuis le début de son quinquennat.
L’exemple du thème des impôts est ainsi particulièrement criant. Après avoir expliqué à mots couverts qu’on ne toucherait pas à l’ISF – reniant ainsi ce qu’il expliquait quelques lignes plus haut – le gouvernement invite les Gilets jaunes à proposer des baisses d’impôts. Mais attention ! Comme, selon Macron, « nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique. » il s’agit ensuite de discuter collectivement des services publics à supprimer ! Voilà l’idée du débat démocratique que se fait Macron : discutons tous ensemble des modalités d’une régression sociale déjà actée.
Les autres questions se déclinent autour de trois autres axes thématiques, « l’organisation de l’Etat et des collectivités publiques », « la transition écologique », « la démocratie et la citoyenneté ». Différentes propositions sont ainsi égrainées sous forme de questions : renforcer la décentralisation, reconnaissance du vote blanc, vote obligatoire ou encore dose de proportionnelle aux législatives.
On ressort de la lecture un peu embrouillé par la multiplicité des thèmes et les 35 questions, et c’est probablement l’objectif du gouvernement : noyer la colère des Gilets jaunes dans un débat touffu, tout en soumettant entièrement l’issue des discussions à la bonne volonté du gouvernement. Pour Macron l’objectif du Grand débat et de la lettre qui l’annonce est bien de légitimer la répression et de mettre un coup d’arrêt au mouvement en le canalisant sur un terrain institutionnel miné.
En outre, la déclinaison des axes thématiques se clôt sur deux thématiques « bonus » surprenantes : l’immigration et la laïcité. Si sur la question des migrants, certains Gilets jaunes ont pu, localement, adopter des positions réellement problématiques, dans la plupart des mobilisations, la question de leur accueil et du respect de leurs droits est posé en opposition à ce gouvernement qui n’a rien à envier à la droite dure. Comme Sarkozy, à son époque, voilà Emmanuel Macron qui impose à sa façon une discussion sur « l’identité nationale », non sans avoir au préalable laissé Castaner s’époumoner à l’envi sur le fait que les mobilisations étaient pilotées par l’extrême droite. Cela ferait sourire, si tout ceci ne relevait pas de l’entourloupe chauvine et xénophobe.
Même chose sur la laïcité : une discussion absolument absente du mouvement mais pas de la réflexion de Macron et de ses ministres qui s’en servent pour servir les plats à la droite et à l’extrême droite en relayant à bon compte les préjugés islamophobes les plus éculés. Un moyen de diviser le mouvement autour de sujets clivants, instrumentalisés par le gouvernement pour dissiper une colère qui vise depuis le départ un seul ennemi : le gouvernement et les riches qu’il sert depuis le début de son quinquennat.
A la veille du Grand débat, la lettre de Macron fait donc apparaître la démarche du gouvernement pour ce qu’elle est : une tentative de canalisation de la colère et de division du mouvement. Pourtant, la radicalité et le caractère massif des Actes XVIII et IX laissent penser que peu de Gilets jaunes seront dupes. Et pas que. Le gouvernement ne compte même plus sur l’appui de la Commission Nationale sur le Débat Public (CNDP), pas plus que sur la majorité des maires, pour organiser une « discussion » verrouillée à l’avance. Ce lundi, Chantal Jouanno, présidente de la CNDP a affirmé que sa démission n’était en rien liée simplement au scandale autour de son salaire mais bien à la volonté de l’exécutif de reprendre la main, expliquant sur Twitter que : « Dès lors que le gouvernement a décidé de reprendre le pilotage du Grand débat national, la CNDP qui est une autorité neutre et indépendante n’y a plus sa place ».
Il n’y a guère plus que Laurent Berger et la direction de la CFDT qui appellent le débat de leurs vœux, c’est dire… Tel que cela se profile, Macron semble tout au plus, jouer la montre, avec son courrier et son « débat ». Reste à savoir si, sur ce plan-là, y compris, celui des « horloges », il va réussir. Rien n’est gagné car il a perdu, bien avant le 17 novembre, la maîtrise du calendrier.
Plus que jamais c’est dans la rue et sur les ronds-points, par l’élargissement du mouvement et sa structuration démocratique par en bas, à travers la contagion de la mobilisation, des ronds-points aux entreprises, aux lieux de travail et d’étude que le gouvernement pourra être vaincu.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE