Une mesure d'aménagement du temps de travail des salariés, rendue possible par la loi Travail, viole la charte sociale européenne. Va-t-elle être abrogée ?
Le Comité européen des droits sociaux (CEDS), institution appartenant au Conseil de l'Europe, vient de dénoncer une disposition de la loi Travail de 2016, dans un rapport rendu public le 15 mars. Elle est selon lui contraire à la Charte sociale européenne dont il est le garant.
La mesure en question permet aux entreprises de prendre comme référence pour le calcul de la durée du travail de leurs salariés une période supérieure à un an, pouvant aller jusqu'à trois ans, pour mobiliser les salariés moins de trente-cinq heures dans les temps creux, plus en période d'activité tendue. Avantage pour l'employeur : le "lissage" sur une longue période limite mécaniquement les heures supplémentaires.
La CGT avait saisi le CEDS il y a deux ans. "Cette mesure de flexibilité du travail, qui peut être mise en place sans justification économique et sociale, prive les salariés concernés de la maîtrise de leur temps et de la majoration de leur rémunération pour heures supplémentaires", estimait le syndicat, au moment d'introduire son recours.
L'argument a été entendu. Pour le comité, "l'effort accru" des salariés sur une période pouvant être très longue "n'est pas compensé par une majoration de salaire" et "l'on ne saurait considérer que le temps de repos accordé constitue une compensation adéquate".
Il signale aussi les potentiels "effets négatifs sur la santé et la sécurité ainsi que sur l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée des salariés" d'une modulation de la durée du travail sur un temps très long. Seule une période de référence d'un an maximum lui paraîtrait acceptable, à condition qu'elle soit justifiée par des "circonstances exceptionnelles".
Quel est l'impact de ce rapport ? Peu d'entreprises se sont lancées dans un aménagement du temps de travail sur plus d'un an. La Direction générale du travail (DGT) a recensé quatre accords mettant en place la pluri-annualisation du temps de travail, dans la branche de la métallurgie. On note au passage que la CGT a choisi, pour deux d'entre eux, de signer l'accord d'entreprise.
Mais pour cette brochette de précurseurs, les conséquences pourraient être lourdes. "Si, dans le sillage du CDES, les juridictions françaises invalident les accords d'entreprise signés, les employeurs devront s'acquitter du paiement d'heures supplémentaires pour les périodes fortement travaillées et la facture pourrait être salée", explique l'avocate Maï Le Prat.
Pour le gouvernement, la "condamnation" de l'Europe tombe au plus mauvais moment, alors que de plus en plus de juridictions se rebiffent contre le barème des indemnités prud'hommes, au nom, justement, de sa non-conformité à la Charte sociale européenne. Va-t-il devoir modifier la législation ?
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