Alors que la justice, à la fin de l’enquête en janvier dernier, a mis en examen un cadre de la maintenance, des documents internes dévoilés ce lundi réaffirment que la direction de la SNCF était en pleine connaissance du déficit de maintenance des rails et du manque de personnel, ce qui aurait causé l’accident. Loin d’une faute individuelle d’un salarié, il s’agirait belle et bien de celle de la direction de la SNCF, à commencer par Guillaume Pepy.
Photo : LIONEL BONAVENTURE/AFP
Le 12 juillet 2013, le train Intercités 3657 reliant Paris-Limoges déraillait en gare de Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne. Le train transportait 385 passagers à son bord. Le bilan est de sept morts et plusieurs dizaines de blessés (dont 9 graves). Il faut remonter vingt-cinq ans en arrière pour trouver une catastrophe ferroviaire d’une telle ampleur en France.
Cinq ans et demi après, la direction de la SNCF continue d’essayer de se dédouaner de ses responsabilités, dans ce qu’on pourrait qualifier de crime social. Dès les premiers jours, déjà, la direction de la SNCF a multiplié les versions contradictoires à propos des causes de l’accident. Dernier en date, en juillet 2018, une nouvelle expertise métallurgique demandée par la SNCF, cherchant à démontrer que le problème était dû à la qualité de l’acier, a finalement confirmé que c’est la vétusté du réseau qui est à l’origine de l’accident, et pas un défaut imprévisible de l’acier.
Alors que les juges d’instruction du parquet d’Évry ont mis en examen, en janvier dernier, un DPX (dirigeant de proximité, cadre de la maintenance), pour homicides et blessures involontaires, des écrits internes à la SNCF, dévoilés par Le Parisien, prouvent que des alertes avaient été lancées avant le drame, avec un constat d’un manque de effectifs s’élevant à près de 1000 agents de maintenance en Ile de France. Ce qui serait à la base du manque d’entretien des voies.
Un de documents que Le Parisien s’est procuré, est un mail daté d’avril 2013, dans lequel le directeur de l’infrastructure pour l’Île-de-France, Ronan Leclerc, demandait la création d’un comité de pilotage stratégique à son directeur financier, inquiet du manque d’effectifs, surtout de maintenance. Il chiffrait à 200 le déficit d’agents pour PRG (Paris rive gauche), d’où dépend Brétigny-sur-Orge.
Un cadre de la SNCF affirme, selon la même source, que « tout le monde savait, puisque c’était des directives de Bercy, mais personne ne voulait voir », et ajoute que « chaque année, nous perdions 3 % des effectifs de maintenance ».
D’autres documents montrent que la SNCF comptait au moment de l’accident avec 26 000 agents de maintenance au niveau national, et qu’il aurait manqué 2 000, malgré des alertes faites en interne. Plusieurs expertises réalisées dans le cadre de l’enquête ont également souligné un défaut de la qualité de la maintenance et un état de délabrement des voies.
La catastrophe est bien sociale puisqu’elle résulte de choix économiques et politiques. Mais il faut aller plus loin. La séparation entre le réseau (Réseau Ferré de France) et l’opérateur (la SNCF) a été une décision politique, prise en 1997 par le gouvernement Juppé mais poursuivie par Jospin et son ministre PCF des Transports de l’époque, Jean-Claude Gayssot. Il en a découlé une situation absurde, dans laquelle RFF gère un réseau où les travaux sont réalisés par... la SNCF. Les règles de concurrence au niveau européen interdisent à la SNCF de financer, pour peu que sa direction ne le souhaiterait, ses activités déficitaires dans les trains inter-régionaux avec ses bénéfices engrangés dans son activité TGV. Ce montage, qui organise consciemment l’affaiblissement de la SNCF et la fragilisation de certaines de ses activités, a pour but de préparer la privatisation et la mise en concurrence complète du rail, pour en faire un espace de valorisation sans contraintes du capital – au détriment de la qualité, de la densité du réseau et de l’accessibilité pour les usagers.
Ces réformes se sont accompagnées de suppression de postes sur les réseaux. Pour accélérer sa casse, la SNCF a organisé tout un dispositif de sous-traitance et de filialisation qui lui permet de se mettre en concurrence...avec elle-même ! Et orchestrer ainsi la pression sur les travailleurs qui doivent accepter des reculs importants pour conserver leur emploi. C’est donc d’un seul et même mouvement que les conditions de travail des cheminots et employé-e-s n’ayant plus le statut se dégradent, et que la sécurité des usager-ère-s est sacrifiée.
Une illustration de l’impact de ces privatisations sur la sûreté des passager-ère-s, des usager-ère-s, des travailleur-se-s du rail, a été donnée par Ken Loach dans son film The Navigators, en 2001. Les politiques d’austérité et les privatisations de Thatcher en Angleterre ont eu des conséquences désastreuses, dans le rail comme ailleurs.
On peut affirmer qu’ici, ce sont le patronat français et son personnel politique, à coup de réformes et des restrictions budgétaires, les responsables du crime social prémédité de Brétigny-sur-Orge.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE