Intitulé « CAC 40 : des profits sans partage », le dernier rapport d’Oxfam France – long de plus de 80 pages – entend décrire « comment les grandes entreprises françaises alimentent la spirale des inégalités’. Il a toutefois une autre vertu pédagogique : il permet d’entrevoir les choix et les comportements du capitalisme français – c’est-à-dire des grandes entreprises, mais également de leurs actionnaires et de leurs PDG. Il renverse un raisonnement bien ancré médiatiquement : si l’économie française ne va pas très bien, c’est parce que l’Etat vit au-dessus de ses moyens, et que les “privilèges” des citoyens ordinaires mettent en péril les équilibres financiers du pays.

En effet, les chiffres mis en valeur par Oxfam mettent en lumière l’incroyable gourmandise des actionnaires et des patrons du CAC 40. Une gourmandise qui menace, au-delà de toute considération morale, l’avenir des entreprises qui les nourrissent. On apprend ainsi que depuis 2009, les entreprises du CAC 40 ont distribué 67,4% de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires, et n’en ont réinvesti que 27,4%. Cela n’a toujours pas été ainsi. Dans les années 2000, ces firmes ne reversaient que 30% de leurs bénéfices aux actionnaires. L’extrême générosité d’aujourd’hui nuit à la capacité à réinvestir des grands groupes français, et donc à l’avenir de l’économie française, sacrifiée sur l’autel du court terme.

D’autant plus que de nombreux groupes du CAC 40 distribuent de l’argent qu’ils n’ont pas. Entre 2009 et 2016, ArcelorMittal a versé 3,4 milliards de dividendes en dépit de plus de plus de 7 milliards de pertes cumulées. Depuis 2009, Engie a reversé à ses actionnaires une somme trois fois plus importante que ses bénéfices. Au final, la France, que l’on nous décrit comme un pays qui déteste les riches, est le champion mondial des dividendes, quand on les met en relation avec les bénéfices générés.

UN CAPITALISME FRANÇAIS DE MOINS EN MOINS… FRANÇAIS

On peut imaginer qu’un grand nombre de petits épargnants profite en premier lieu des dividendes du CAC 40. Ce n’est pas tout à fait vrai. Certes, il y a une grande opacité, et selon les données d’Euronext, 41,7% des propriétaires d’actions en France en 2015 étaient inconnus. Mais l’on sait que huit groupes familiaux et fonds d’investissement contrôlaient une action sur huit. Le groupe Arnault contrôle le plus gros portefeuille, devant l’Etat français, puis la famille Bettencourt et en quatrième position le fonds américain Blackrock. Le CAC 40 est en France, mais plus tout à fait français. 44,5% des actions sont désormais détenues par des acteurs étrangers, le plus souvent situés dans des paradis fiscaux. Des paradis fiscaux au sein desquels nos champions nationaux des services et de l’industrie multiplient les filiales où ils transfèrent par divers moyens une partie de leur valeur ajoutée.

L’Etat français est tondu de diverses manières, mais on ne peut pas dire qu’il s’en plaint… La preuve : quand Emmanuel Macron limite l’impôt sur la fortune aux actifs immobiliers, il enrichit encore plus ce petit monde du parasitisme spéculatif. Il se montre fidèle à son image de président des très riches, car selon les chiffres mis en avant par Oxfam, le patrimoine des 0,1% les plus riches est composé à 90% d’actifs financiers, qui ne représentent pas le tiers du patrimoine moyen des Français.

LA PORTION CONGRUE AUX SALARIÉS…

En réalité, seuls 5,3% des bénéfices des entreprises du CAC 40 sont redistribués en primes pour les salariés. L’exemple de Carrefour est saisissant. Son PDG a gagné en moyenne 306 fois le salaire moyen au sein de son entreprise, 553 fois le SMIC, 509 fois le revenu moyen des agriculteurs français dont les produits remplissent les rayons… et 19 276 fois le revenu moyen d’une cueilleuse de thé indienne travaillant pour un de ses fournisseurs.

Depuis 2009, les rémunérations des patrons du CAC40 ont augmenté de 46%, deux fois plus vite que la moyenne des salaires de leurs entreprises, selon OXFAM, et quatre fois plus vite que le SMIC. On pense notamment à Carlos Ghosn, le patron de Renault, dont le salaire a connu une croissance de 469% en sept ans.

Il faut croire que la théorie du ruissellement, ça marche, mais seulement pour les premiers de cordée. Plus fondamentalement, les salaires des dirigeants du CAC 40 (contrairement à ceux des employés) sont plus ou moins indexés sur les cours de l’action de leurs entreprises, ce qui les pousse à conforter la logique financière à courte vue, et à négliger les considérations industrielles de long terme. Cette attitude pourrait affecter la compétitivité des entreprises françaises, et ouvrir la voie à des concurrents issus de pays où les actionnaires ont moins tendance à manger leur blé en herbe.

Pour télécharger l’intégralité du rapport d’OXFAM : http://oxfamfrance.org/sites/default/files/file_attachments/vfrapport_oxfam_cac40_des_profits_sans_partage.pdf

Photo : Bernard Arnault, dont le groupe possède le plus gros portefeuille du CAC 40, à la Conférence à l’Ecole polytechnique, « LVMH, la construction d’un leader mondial Français », 14 mars 2017

Crédits : Jérémy Barande / Ecole polytechnique Université Paris-Saclay / CC BY-SA 2.0