En mai, le patron de Deutsche Bank, Christian Sewing, avait promis à ses actionnaires mécontents « des coupes drastiques » et une« transformation accélérée » pour redresser l’ancien fleuron bancaire allemand, laminé par une décennie calamiteuse. Au terme de plusieurs semaines de suspense, la banque a rendu publique sa décision dimanche 7 juillet, et les chiffres ont de quoi donner le vertige. Deutsche Bank va supprimer 18 000 emplois dans le cadre d’une restructuration de 7,4 milliards d’euros, a annoncé le dirigeant à l’issue d’une réunion très attendue du conseil de surveillance.
La coupe correspond à un cinquième des effectifs, du jamais-vu pour l’ancien fleuron de la finance allemande.
C’est du jamais-vu dans l’histoire de la vénérable institution, qui fêtera ses 150 ans au printemps 2020. Le plan social réduira de 20 % les effectifs de la première banque allemande, qui tomberont à 74 000 salariés en 2022. Il s’agit de la plus importante réduction d’effectifs au sein d’une grande banque depuis 2011, année où HSBC avait annoncé environ 30 000 départs.
Recentrage sur l’Europe et l’Allemagne
Deutsche Bank comptait encore plus de 100 000 salariés il y a quatre ans. En mai 2018, quelques semaines après son arrivée à la tête du directoire, Christian Sewing avait déjà annoncé 7 000 suppressions de postes. La banque n’a pas précisé où ces milliers de suppressions d’emplois supplémentaires auront lieu, mais son directoire a aussi acté, ce dimanche, une forte réduction de la branche d’investissement, ainsi que l’abandon complet des activités de trading d’actions, qui se concentrent principalement à New York et à Londres. A terme, Deutsche Bank sera donc recentrée sur l’Europe et l’Allemagne.
Outre la banque d’investissement, les coupes devraient concerner également les activités dites d’infrastructure – direction financière, audit, ressources humaines –, notamment au siège. Deutsche Bank avait déjà annoncé, mercredi 3 juillet, quelque 1 500 départs dans le cadre de l’intégration de Postbank, qu’elle avait rachetée en 2010 et renoncé à revendre en 2017.
L’établissement bancaire a d’ores et déjà indiqué que le coût de cette réorganisation de la dernière chance occasionnera une perte de 2,8 milliards d’euros au deuxième trimestre de cette année, après un bénéfice net de 201 millions d’euros au premier trimestre. Deutsche Bank est donc en passe de replonger dans le rouge en 2019 après avoir enregistré, l’an dernier, un modeste bénéfice de 341 millions d’euros, son premier résultat positif depuis 2014. Et les actionnaires, déjà échaudés par la chute vertigineuse du cours de l’action ces dernières années, ont reçu une autre nouvelle au goût amer : la banque a précisé qu’elle ne versera aucun dividende en 2019 et en 2020.
Véritable tournant stratégique
Ces annonces constituent un réel tournant stratégique pour Deutsche Bank. Le géant bancaire tire le rideau sur trente années d’aventure dans le milieu grisant du négoce d’actions et du conseil en fusions et acquisitions à Wall Street et à la City de Londres, où il s’était implanté dès la fin des années 1980 grâce à des acquisitions. Mais avec la crise des subprimes en 2007, la banque d’investissement, ancienne division phare de Deutsche Bank, était devenue lourdement déficitaire.
Cette saignée était déjà attendue depuis l’assemblée générale houleuse de mai. Vendredi, Deutsche Bank annonçait la couleur en congédiant Garth Ritchie, adjoint de Christian Sewing et patron de la banque d’investissement. Le Sud-Africain, nommé au directoire en 2016, n’est pas le seul dirigeant à faire les frais de la mue en profondeur du groupe. S’en vont également Frank Strauss, patron de la clientèle privée, et Sylvie Mathérat, qui avait quitté la Banque de France pour venir prendre la tête de la conformité et du contrôle interne à Francfort en 2015. Mais les scandales à répétition, notamment une affaire de blanchiment d’argent avec Danske Bank, avaient compliqué la donne pour la dirigeante française.
Pour nettoyer son bilan, Deutsche Bank a aussi annoncé, dimanche, la création d’une « bad bank », une structure de défaisance où elle isolera 74 milliards d’euros d’actifs toxiques – en particulier des produits dérivés très spéculatifs –, confirmant des rumeurs qui avaient déjà fuité en juin. La banque se recentrera désormais sur son cœur de métier historique : le financement des entreprises et la banque de dépôt.
Grâce à ce remède de cheval, le groupe compte abaisser ses coûts d’activité de 26 % d’ici 2022 afin de réaliser 6 milliards d’euros d’économies par an une fois la restructuration terminée. Mais malgré cette réduction de coûts tous azimuts, la banque veut aussi investir 4 milliards pour améliorer ses contrôles internes et éviter de nouveaux scandales.
Après les annonces de dimanche, le plus dur reste à faire pour Christian Sewing : mettre fin à la spirale infernale et regagner la confiance de ses actionnaires, après une fusion ratée avec Commerzbank au printemps. Deutsche Bank, qui a vu sa valeur boursière se diviser par quatre en quatre ans, joue son va-tout.
Publié par ANTI-K