Pour la première fois depuis 11 ans, la Réserve fédérale américaine (FED) a baissé ses taux d'intérêt, de 0,25%, ce mercredi 31 juillet. Une décision qui ne manque pas d'affoler les marchés, et ravive le spectre d'une nouvelle crise économique.
Il n’a échappé à personne que, plus d’une décennie après la crise des subprimes de 2007/2009, l’économie mondiale est loin d’avoir renoué avec une forte croissance. La reprise n’est pas là, contrairement à ce que les économistes convertis à la sacro-sainte idéologie du « cycle économique » et de la « main invisible » régulatrice des marchés avaient prédit. Tout au contraire, la décennie qui nous sépare de l’explosion de la crise économique et financière de 2008 a vu se tarir les différents « leviers » de relance massive de l’économie, sans que les mesures néo-libérales et antisociales d’austérité aient eu les effets escomptés.
Dans la situation actuelle, les fameux pays « émergents », en particulier la Chine, et leur croissance à deux chiffres ne sont qu’un lointain souvenir. Si selon Pekin la croissance de la Chine devrait être « officiellement » de 6% en 2020, les chiffres réels devraient plutôt se situer autour de 2 à 3%. Loin des 14,2% de 2007 et au plus bas depuis 30 ans, la croissance chinoise ne pourra donc jouer le même rôle « d’Eldorado » qu’en 2008, et absorber en partie les secousses de la crise mondiale.
Dans le même temps, la reprise, extrêmement faible en Europe et aux Etats-Unis, demeure en trompe-l’oeil. L’exemple de la première puissance économique mondiale est en ce sens frappant. Si les Etats-Unis dépassent depuis 2011 les 2% de croissance quasiment chaque trimestre, ces chiffres sont à la fois dus à la politique protectionniste et de relocalisation industrielle dont les effets devraient s’estomper dès 2020, mais surtout à la mise sous perfusion de l’économie et l’injection massive de liquidité sur les marchés. Cette stratégie de la planche à billets a été appliquée mondialement, permettant au passage de faire payer la crise aux classes populaires et aux travailleurs, sans avoir les effets attendus, amenant une série d’économistes à reprendre la définition d’Alvin Hansen de « stagnation séculaire », à savoir une période d’activité économique anémique.
De même, les chiffres « historiques » de 3,6% de chômage annoncé aux Etats-Unis sont là aussi un trompe-l’œil. Ces derniers sont surtout dus à un mécanisme excluant une large part des travailleurs américains sans emploi. La réalité reste que le taux de chômage est au plus haut dans les principales puissances capitalistes du globe, un frein considérable à une relance suffisante de la consommation.
L’autre marqueur de la situation actuelle, source d’instabilité économique, est la politique de guerre commerciale engagée à l’égard de la Chine et de l’Europe par le gouvernement Trump. Indispensable pour le protectionnisme libéral américain, cette politique agressive produit déjà ses effets néfastes, en particulier au sein des pays de la zone d’influence nord-américaine en Amérique Centrale et du Sud. L’exemple argentin, sous pression du FMI, est ainsi explicite, avec une forte dépression de la monnaie et une situation de crise économique profonde qui font office de signe précurseurs à l’échelle mondiale.
En d’autres termes, les politiques néo-libérales de « solution à la crise » n’ont fait que masquer le problème, et préparer le terrain non pas à une nouvelle phase du cycle économique (une reprise forte) mais à une nouvelle crise qui pourrait être d’une ampleur supérieure à celle de 2008. Selon Olivier Passet, directeur des synthèses Xerfi, une conjonction de signaux défavorables « voudraient que l’économie mondiale bascule dans une récession franche ». Si Passet se rassure comme il peut, misant sur un maintien de la situation d’entre-deux contradictoire qui caractérise l’économie mondiale depuis 10 ans, ce dernier occulte de son raisonnement l’ensemble des effets « masquant » cités plus haut, et se garde bien d’élargir sa prédiction de maintien du statu quo au-delà de 2020.
Il n’en demeure pas moins qu’effectivement, les signaux négatifs s’accumulent et que le spectre de la récession franche est bien là. Sauf que « l’amortisseur » chinois n’est plus, que les marchés sont d’ores et déjà inondés de liquidités, et par conséquent que les Etats ne pourront réussir à prolonger à un niveau supérieur leurs méthodes permettant de mettre l’économie sous perfusion.
C’est dans ce contexte général que l’on peut comprendre que l’annonce de cette faible baisse des taux d’intérêt de la FED ait provoqué un tel vent de panique, éphémère mais réel, à Wall Street, avec la chute de l’indice Dow Jones (-1,23%) et S&P-500 (-1,09%). Si la situation s’est stabilisée ce jeudi, cette convulsion est éclairante sur la santé précaire de l’économie mondiale.
Dans son éditorial du Jeudi 1er aout, Le Monde s’interroge : « Cette baisse des taux vise à soutenir l’activité économique des Etats-Unis et à tenter de prolonger la plus longue période de croissance de leur histoire contemporaine. Pourquoi redonner du tonus à une économie qui n’en manque pas ? ». Et apporte des éléments de réponses : « l’inflation reste atone. Malgré l’apport de tombereaux de liquidités, la surchauffe n’est toujours pas en vue. Plus d’assouplissement monétaire aura-t-il un effet différent ? On peut en douter […] A force de laxisme monétaire pour prévenir une récession qui interviendra tôt ou tard, on est en train de créer les conditions d’une crise qui peut se révéler encore plus dévastatrice que la précédente. En rendant l’argent gratuit pour éteindre l’incendie de 2008, le système financier a fini par donner l’illusion que le risque est devenu marginal et a provoqué une hausse artificielle de la valeur des actifs, à commencer par l’immobilier et les actions. Des bulles spéculatives sont en cours de formation. Les agents économiques s’endettent de façon inconsidérée. La déconnexion avec l’économie réelle se généralise ».
Avec une économie mondialement sous perfusion, la formation de nouvelles bulles spéculatives rendent la situation particulièrement explosive et les effets d’une potentielle « explosion » des dites bulles dévastatrices. Dans ce cadre, la tendance ne peut aller qu’à l’approfondissement des politiques austéritaires et des phénomènes de guerre commerciale, voire à la réémergence de conflits militaires, comme il en est aujourd’hui potentiellement question au Venezuela ou autour des tensions avec l’Iran. L’hypothèse de conflits armés, y compris entre les grandes puissances, n’est donc pas à écarter.
Toutefois, l’évolution des conflits sur le terrain de la lutte des classes - avec une nouvelle vigueur donnée à la fois par le mouvement des Gilets Jaunes en France, mais aussi par les mouvements en Algérie, au Soudan et les convulsions qui agitent une série de pays à travers le globe -, peut ouvrir une toute autre perspective à échelle mondiale.
Crédit photo : REUTERS/Brendan McDermid.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE