2019-09-26 08:00:00 Multinationales.org
Carrefour, Technip, Alstom, PSA, Sanofi… Cinq « champions » français, cinq illustrations de tout ce qui ne va pas dans de nombreuses grandes entreprises aujourd’hui. Un extrait de la deuxième édition du « Véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises » que nous publions ce 26 septembre.
Hausse des dividendes et des rémunérations patronales, mais baisse des effectifs en France et des dépenses pour les salariés, gaz à effet de serre, inégalités entre hommes et femmes, déchets, plastique, lobbying… Les chiffres rassemblés dans le « Véritable bilan annuel des grandes entreprises françaises » publié par l’Observatoire des multinationales montrent à quel point « nos » grandes entreprises sont devenues des machines à accaparer les richesses au profit de quelques-uns, et à faire sentir les coûts sociaux, économiques et environnementaux à tous les autres. Cinq groupes du CAC40 illustrent par excellence cette dérive.
C’est la saignée dans la grande distribution. Le secteur déjà caractérisé par des salaires faibles et des conditions de travail difficiles enchaînent les plans de suppression d’emploi. À commencer par Carrefour : depuis l’arrivée du nouveau PDG Alexandre Bompard – pur produit de ces élites publiques-privées à la française, lui qui a été conseiller de François Fillon et inspecteur des finances avant de prendre les rênes de Fnac-Darty puis de Carrefour –, la tendance s’est accélérée. 2400 emplois ont été supprimés au siège en France. Les magasins de hard discount Dia ont été vendus. Carrefour a annoncé en 2019 3000 nouvelles suppressions d’emploi. Pourtant, l’entreprise avait touché 149 millions d’euros des pouvoirs publics au titre du CICE (Crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi) en 2017, et 134 millions d’euros l’année précédente.
Le groupe se porte-t-il si mal que ça ? Il affiche un résultat négatif depuis deux ans, mais c’est en raison de la dépréciation d’actifs dans ses comptes. Et ce sont les salariés qui en paient le prix. Ces pertes ne l’ont pas empêché de distribuer 350 millions de dividendes par an à ses actionnaires, principalement des grandes fortunes : la famille Moulin (25ème fortune de France, propriétaire notamment des Galeries Lafayette), Bernard Arnault (LVMH), et le milliardaire brésilien Abilio Diniz. Malgré les résultats négatifs, le PDG Alexandre Bompard a vu sa rémunération augmenter de 27% entre 2017 et 2018, passant à 7,3 millions d’euros ! Carrefour est ainsi devenue l’une des entreprises les plus inégalitaires du CAC 40 : son PDG gagne presque autant en un jour qu’un salarié moyen en un an.
Côté pile, l’entreprise parapétrolière, issue de la fusion entre le français Technip et l’américain FMC, est particulièrement généreuse avec ses dirigeants et avec ses actionnaires. Son patron américain Douglas Pferdehirt est l’un des mieux payés du CAC 40 avec plus de 11 millions d’euros par an, tandis que l’ancien PDG de Technip, Thierry Pilenko, est parti avec une indemnité de 14 millions (lire notre article). En 2018, l’entreprise a redistribué 600 millions d’euros à ses actionnaires malgré des pertes. Déjà en 2017, elle leur a versé l’équivalent de deux fois et demi ses résultats, 250 millions.
Côté face, TechnipFMC accuse une perte de 1,9 milliard d’euros en 2018. Ces mauvais résultats et les réorganisations en série semblent avoir entraîné – déjà avant la fusion – une vague de souffrance au travail au niveau du siège, avec plusieurs suicides. Plusieurs milliers d’emplois devaient être supprimés, dont 700 pour le seul siège parisien. Les syndicats dénoncent le gel des salaires depuis deux ans. La firme est aussi aux prises avec des affaires de corruption : elle a récemment accepté de verser 300 millions de dollars aux autorités du Brésil et des États-Unis pour clore des enquêtes sur le sujet.
Enfin et surtout, loin de remettre en cause son modèle industriel face à l’enjeu climatique, TechnipFMC participe activement à l’ouverture de nouveaux gisements de pétrole et de gaz comme au Mozambique ou dans l’Arctique russe (lire nos articles ici et là).
C’est devenu le symbole même de la crise – certains diraient du démantèlement – des champions industriels français. Les activités énergie d’Alstom ont été revendues à l’américain General Electric en 2014, dans des conditions controversées. Ses activités ferroviaires étaient promises à un mariage avec l’allemand Siemens, avec la bénédiction des dirigeants, des actionnaires et de l’État français. Sauf que la Commission européenne s’en est mêlée, refusant ce rachat au nom de la lutte contre les monopoles.
Les arguments des partisans de la cession d’activités sont les mêmes que ceux qui prônaient la fusion : Alstom est trop petit pour peser dans la concurrence mondiale, et doit s’allier à plus grands pour survivre. En réalité, Alstom se porte très bien sans Siemens, avec un chiffre d’affaires et un carnet de commandes en hausse. En revanche, les anciennes activités énergétiques revendues à GE sont sous la menace d’un plan de suppression d’emplois, malgré les promesses qui avaient été faites par le géant américain.
Les pouvoirs publics sont souvent tenus pour responsables des difficultés des groupes industriels français, mais les principaux bénéficiaires d’opérations comme le rachat d’Alstom par GE restent les dirigeants de la firme française – qui partent avec de confortables indemnités de départ – et les actionnaires (notamment la famille Bouygues), qui empochent au passage des dividendes exceptionnels. Sans oublier les banquiers d’affaires et les cabinets d’avocats grassement rémunérés pour boucler ce type d’opération.
Carlos Ghosn, l’ancien PDG de Renault, aura été cette année l’homme par qui le scandale est arrivé, mettant en lumière les excès des grands patrons (lire notre article). Mais c’est son principal concurrent, PSA Peugeot Citroën (devenu « Groupe PSA »), aujourd’hui dirigé par un ancien adjoint de Ghosn, Carlos Tavares, qui illustre le mieux la dynamique négative dans laquelle est engagée le secteur automobile français. En 2018, malgré un bénéfice en hausse de presque 50 %, PSA a supprimé des emplois en France tout en les augmentant au niveau mondial. Le groupe ne compte plus qu’un salarié sur trois dans l’Hexagone.
PSA dépense également moins pour ses salariés, les dépenses moyennes de rémunération par salarié étant en baisse de 6 %. Le tout grâce notamment aux nouveaux outils de flexibilisation créés par la loi Macron, comme la « rupture conventionnelle collective » ou les « accords de performance ». En revanche, le taux d’imposition effectif du constructeur n’a été que de 15 %. Carlos Tavares s’est octroyé une augmentation de 14 %, à 7,6 millions d’euros de rémunération annuelle.
Les bons résultats de PSA sont principalement dus à la croissance du marché des SUV, les « sport utility vehicles », ces véhicules très polluants et sources de multiples nuisances dans nos villes. Carlos Tavares s’est d’ailleurs illustré cette année, en tant que chef du lobby automobile européen, en critiquant les objectifs européens de réduction de la pollution de l’air et des émissions de CO2, qu’il juge trop ambitieux.
Sanofi défraie la chronique depuis des années avec ses plans sociaux, notamment en France, et les controverses qu’ils suscitent. Le groupe pharmaceutique s’illustre à nouveau en 2019 avec des centaines suppressions d’emploi annoncées dans les fonctions support, chez les commerciaux et – une nouvelle fois – dans la recherche et développement. En 2018, le groupe a versé près de 5 milliards d’euros à ses actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d’actions, soit 114 % de ses bénéfices ! Son patron Olivier Brandicourt reste, malgré un salaire en baisse, l’un des mieux payés du CAC.
Les bénéfices de Sanofi, comme de toute l’industrie pharmaceutique, sont pourtant largement issus des fonds publics dédiés à la santé et à la sécurité sociale (lire les explications de nos « Pharma Papers »). En 2017, par exemple, le laboratoire a bénéficié de 561 millions de remboursements de l’assurance maladie française.
Ce qui explique les sommes consacrées par Sanofi à soigner ses relations avec les responsables publics et les professionnels de santé. Avec près de 5 millions de dollars de dépenses aux États-Unis et un million de financements politiques en 2018, et plus d’un million d’euros à Bruxelles, Sanofi est de loin le groupe du CAC40 qui dépense le plus en lobbying. C’est aussi celui qui a le plus de liens d’intérêts avec des professionnels de santé en France, avec un demi milliard d’euros dépensés à leur profit entre 2012 et 2018.
Olivier Petitjean
Publié par anti-K