Il arrive même à Libération, propriété de milliardaires, chantre s'il en est de la nécessité de s'adapter à la modernité, c'est-à-dire selon les classes dominantes de renoncer aux conquis sociaux ... de dire dans quelques tribunes ... quelques vérités de fonds.
Ainsi dans l'article suivant en va-t-il de l'appréciation du projet réactionnaire profond qui préside aux contre-réformes entamées depuis des dizaines d'années : indemnisation du chômage, protection sociale, retraites, garanties juridiques du code du travail ...
Confirmant la continuité du projet de régression d'une oligarchie qui n'a jamais accepté les conquis que sous la contrainte du rapport de force!
PAS d'ILLUSION donc : seule la lutte, seules les luttes convergentes pourront renverser la vapeur face à l'entreprise de démolition qui s'accélère !
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Par Bruno Amable, professeur à l’université de Genève — 2 septembre 2019 à 19:06
Depuis trois à quatre décennies, avec une forte accélération ces dernières années, se réalise le rêve d’une partie du patronat : défaire les avancées du Conseil national de la Résistance.
Parmi tous les clichés trompeurs qui circulent à propos de la France, celui d’un pays «impossible à réformer» est certainement le plus ridicule. Sans que la majorité des Français ne l’ait vraiment souhaité, les transformations que subit l’économie depuis trois à quatre décennies, avec une spectaculaire accélération ces dernières années, sont à même de réaliser le rêve pas du tout secret d’une partie du patronat et des classes aisées tel qu’il avait été énoncé par Denis Kessler il y a quelques années: défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance et en finir avec le modèle social français.
Après des années de libéralisation dans de nombreux domaines, à commencer par le secteur financier, les «réformes» néolibérales se sont attaquées sérieusement aux deux principaux piliers du modèle social que sont la relation d’emploi et la protection sociale. Pour la première, l’histoire retiendra que c’est un président «socialiste» qui aura mis en œuvre la plus importante loi de flexibilisation du marché du travail de l’après-guerre. La loi travail, prolongée par les ordonnances Macron, constitue non seulement une diminution significative de la protection légale de l’emploi, mais consacre aussi un affaiblissement de la représentation des salariés et pour tout dire un recul de la démocratie sociale.
On pourrait se dire que tout cela n’est pas grave car les transformations en œuvre ne sont que l’une des deux faces de la «flexisécurité à la danoise» qu’Emmanuel Macron vantait tant lorsqu’il était en visite à Copenhague. Pour la flexibilité, c’est vu ; mais la sécurité va suivre, non ? Eh bien non, justement. Parce que si on regarde par exemple la réforme de l’indemnisation du chômage, on est très loin de l’augmentation de la sécurité.
Il y a d’abord la logique d’ensemble qui est de transformer un régime d’assurance fondé sur les cotisations par un régime de «solidarité» financé par l’impôt. Ceci a un double objectif : premièrement, évincer les syndicats de la gestion de l’indemnisation du chômage et faire en sorte que l’Etat reprenne la main ; deuxièmement, permettre la transition vers une indemnisation plus chiche et sous condition(s). Les indemnités ne seront plus un droit acquis par une contribution mais un geste que l’Etat fera en direction des chômeurs. Il faudra donc ne pas être trop exigeant. Le point d’arrivée de cette évolution est le filet de sécurité, la protection minimale des économies les plus libérales.
C’est d’ailleurs le chemin qui est actuellement suivi avec la règle de calcul des indemnités en fonction du salaire mensuel perçu pendant la période précédant le chômage et non plus du salaire journalier, ce qui pénalisera les salariés précaires. On peut aussi mentionner la très forte dégressivité des indemnités pour les cadres, ce qui d’une part va les inciter à chercher un mécanisme complémentaire d’assurance auprès du secteur privé et d’autre part les décourager de soutenir un régime d’indemnisation généreux pour les autres salariés.
Vivement la retraite, doivent se dire de nombreux salariés. Alors là, justement, on poursuit la même logique. C’est une transformation majeure qui va s’opérer avec la réforme annoncée, qui va au-delà des questions d’âge-pivot ou de durée de cotisation. Le système actuel de retraite est un système à prestations définies, c’est-à-dire que lorsque les conditions d’âge ou de durée de cotisations sont remplies, le retraité sait à quelle pension il aura droit, en pourcentage de son salaire par exemple.
Avec le système par points, on passe à un régime à cotisations définies. Chaque point donnera en principe les mêmes droits à indemnisation, mais on ne connaîtra pas le montant de celle-ci au moment où on acquiert les points. Si on ajoute à cela que l’objectif est de maintenir à niveau constant la part du PIB consacrée aux retraites alors que la population concernée va augmenter relativement à la population totale, que les discussions autour de l’âge-pivot ou de la durée de cotisation nécessaire pour ne pas subir de décote vont de toute façon dans la même direction, à la hausse, on ne peut qu’en conclure que les retraités à venir devraient subir une baisse sensible de leurs futurs revenus.
On peut ajouter que la baisse des cotisations pour les cadres, et donc des droits correspondants, devrait inciter ceux-ci à se tourner vers la retraite par capitalisation, ce qui est aussi probablement la «solution» que risquent d’adopter les autres salariés soucieux de leur niveau de vie passé l’âge de la retraite.
Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Pierre-Yves Geoffard et Bruno Amable.
Publié par FSC