« Seveso » est le nom d’un crime industriel et la directive du même nom est loin de protéger les populations et les travailleurs de la négligence des capitalistes.
L’incendie de l’usine Lubrizol jeudi dernier à Rouen met depuis quelques jours la question des catastrophes industrielles sur le devant de la scène. Les sites industriels considérés à risques sont classées Seveso. Cette directive est censée assurer des contrôles plus nombreux, ainsi qu’un haut niveau de prévention. Cependant comme bien souvent, les intérêts privés passent avant la réduction des risques et la classification Seveso ne sert en rien à protéger la population et les travailleurs.
« Site classé Seveso ». Derrière le mot Seveso, que l’on entend depuis plusieurs jours accolé à l’usine Lubrizol, propriété de Berkshire Hathaway, il y a une catastrophe industrielle majeure qui a frappé toute une région de l’Italie en 1976. Le 10 juillet, l’augmentation de la pression dans l’un des réacteurs fait sauter une soupape de sécurité dans l’usine Icmesa à Meda, petite ville italienne près de Milan. Un immense et dense nuage blanc se propage, traversant en premier la ville de Seveso, de 17 000 habitants. Elle sera l’une des quatre villes fortement frappées (dont 7 touchées au total) par ce qui se révèlera être une énorme catastrophe industrielle.
La direction de l’usine évoquant un « nuage d’herbicide » se garde bien de parler de ce dont il est question : une fuite de dioxine, poison puissant utilisé pour fabriquer des pesticides... mais aussi l’agent orange que l’armée américaine déverse au Vietnam. Il faudra 11 jours pour que le scandale éclate dans les journaux. Le bilan de Seveso c’est 15 000 personnes évacuées, 358 hectares contaminés, 3 000 animaux domestiques tués, 77 000 têtes de bétail abattues. 450 personnes souffrent de lésions apparentes, dont 193 de chloracné, trouble de la peau sévère qui ressemble à une acné XXL. Par la suite on constatera les effets de la contamination sur la reproduction (baisse de fertilité), une hausse du nombre de leucémies, de diabète et de maladies de foie à Seveso.
Après ce scandale sanitaire, la directive Seveso est adoptée par les Etats européens en 1978. Depuis, conformément à cette directive, les sites industriels qui présentent les risques accidentels les plus importants (usines chimiques, dépôts pétroliers, logistiques de matières dangereuses) sont classés et doivent être étroitement surveillés. La classification possède deux niveaux : seuil bas et seuil haut. Le dépassement du seuil se calcule en fonction du type de produits présents sur un site et les risques encourus lors de leur utilisation, qu’il s’agisse de produits comburants, explosifs, inflammables, extrêmement inflammables, très toxiques pour l’homme ou pour l’environnement. Les sites classifiés comme seuil haut sont donc particulièrement dangereux et nécessitent une attention toute particulière.
La dernière directive en date, Seveso 3, entrée en vigueur en France en 2015, est censée garantir aux citoyens le « droit à l’information » sur les sites classés. Il existe ainsi une base de données publique, où l’on retrouve la liste des sites et les informations les concernant. Sur l’une des fiches concernant l’usine Lubrizol de Rouen on précise la « nature des dangers liés aux accidents majeurs » et détaille les « mesures de prévention du risque d’incendie ».
Toute une réglementation, des contrôles, des bases de données… et pourtant, on constatera à plusieurs reprises que tout cela ne suffit pas pour empêcher les manquements, voire les fraudes. Les risques majeurs ne sont pas évités, les précédents ne sont pris en compte que sur le papier : l’usine Lubrizol avait ainsi déjà connu un premier incident grave en juillet 2013. À l’époque, la direction de l’usine et les autorités avaient prétendu qu’il n’y avait que du mercaptan, un gaz malodorant, qui s’était échappé, mais les analyses faites par la suite ont révélé qu’il y avait d’autres produits.
Quant à « l’information des citoyens », depuis l’incendie les habitants de Rouen ainsi que des zones traversées par les fumées toxiques sont toujours dans l’incertitude. Le gouvernement prétend jouer la transparence « dévoilant » les documents sur les plus de 5 000 tonnes de produits qui ont brulés. Difficile de s’y retrouver parmi ce flot de paperasse, mais une chose est sûre : pendant ce temps, le préfet de Normandie continue de proclamer que « l’état de l’air est habituel » à Rouen, visiblement pas à une contradiction près. Quant à la ministre de la santé Agnès Buzyn interrogée ce mercredi matin sur France Inter, elle affirme que « cette pollution est réelle, [mais] pour l’instant elle n’entraîne pas de risques pour la santé ».
La dangerosité des substances a été soulignée par Mediapart, ainsi que des liens entre les pouvoirs publics et la direction de l’usine, dénonçant une usine « toxique et opaque ».
Aujourd’hui, il y a 1312 sites Seveso en France, dont 705 « seuil haut » comme l’usine de Rouen, et plus de 10 000 sites dans l’Union Européenne.
L’usine STM Toulouse dans laquelle un départ de feu a eu lieu ce mardi 1er octobre ou encore l’usine Borealis elle aussi près de Rouen, mise à l’arrêt suite à une procédure d’urgence. Le dépôt pétrolier Esso en Haute-Garonne, l’usine de Sanofi Chimie, dans le Puy-de-Dôme, l’usine Guerbet en Bretagne…
A part pour les personnes habitant à proximité, ces sites ne nous disent parfois rien. Pourtant, la majorité d’entre eux appartient à des grands groupes, qui ont souvent recours à la sous-traitance et réalisent des milliards de profits chaque année : ExxonMobil, l’Oréal, la famille Guerbet (l’une des 500 plus grandes fortunes de France), Engie, Bayer, Shell… Des profits qui bien sûr ne servent pas à renforcer la sécurité des sites Seveso. On ne peut pas non plus s’empêcher de penser au patron de l’Oréal qui déclarait le 19 septembre dernier que l’augmentation de la pollution était bonne pour les affaires.
Pour ces grosses entreprises capitalistes, le recours à la sous-traitance est d’abord gage d’impunité. Elle leur permet de se défausser de leurs responsabilité, comme à AZF Toulouse, propriété de Total, qui a explosé en 2001 et était elle aussi classée Seveso. L’explosion avait causé 31 morts et 2500 blessés, et le procès s’éternise depuis 2009 : Grande Paroisse, la filiale de Total, avait été relaxé, puis condamnée en appel, puis cette condamnation avait été annulée par la Cour de Cassation. En 2017, rebelote : un autre appel, qui condamne l’entreprise… pour que le ré-examen de l’affaire soit prévu en cassation pour le 9 novembre 2019. La vérité, c’est que les grands groupes ne payent jamais pour les vies qu’ils détruisent et pour les dégâts environnementaux qu’ils causent.
La sous-traitance, c’est aussi des salariés moins bien formés et sur lesquels plus de pression à la rentabilité est mise. Ce qui est synonyme d’aggravation des risques pour la sécurité de tous, comme par exemple sur la plateforme Total du Havre (classé Seveso) où l’on fabrique des huiles, des carburants et des matières plastiques. Pour gagner du temps et de l’argent, les mesures de sécurité élémentaires sont ignorées. Pire, en cas de mouvement social les directions font remplacer les grévistes par des intérimaires et des cadres, qui ne connaissent pas assez les installations !.
Les entreprises classées Seveso, comme toutes les autres, sont des lieux organisés, dirigés et contrôlés pour la production capitaliste, en fonction de ses impératifs. Dans cet ordre capitaliste, seuls les profits comptent, au détriment des mesures de sécurité, que cela mette en danger les travailleurs des sites en question ou les populations vivant à proximité.
A Rouen, un syndicaliste CGT et également inspecteur du travail a souligné que cela faisait des années que la CGT alertait sur les risques de pollution posés par l’usine Lubrizol.
Sur ces sites, les premiers à subir les manquements aux procédures de sécurité, ce sont les travailleurs qui sont tous les jours exposés aux produits chimiques. Benzène, propylène, oxyde d’azote, dioxines… autant de composants très dangereux et hautement toxiques, souvent causes de maladies professionnelles qui se développent par la suite. D’après les données de l’assurance maladie, pour la période 2013-2017 et publiées le 11 avril, 1840 cas de cancers d’origine professionnelle sont reconnus en moyenne chaque année en France, et 80 % des cas sont des ouvriers. L’amiante est responsable de 80% des cas de cancers professionnels recensés par l’assurance maladie, 10% des cas restants sont dus à des expositions aux poussières de bois, au benzène, goudrons, bitumes et asphaltes. Sans parler des accidents, qui se multiplient lorsque la course à la rentabilité pousse à ignorer des mesures élémentaires de sécurité. On peut aller voir le compte Twitter « Accident du travail : silence des ouvriers meurent » qui recense chaque jour les personnes mortes au travail dans l’indifférence (au moins 287 depuis le début de l’année).
Quant aux responsables, ils n’ont jamais de comptes à rendre : ainsi, plusieurs procès pour exposition à l’amiante des salariées ont abouti à des non-lieux comme pour l’entreprise Eternit le 10 juillet dernier, ou les patrons de l’usine Ferrodo-Valeo, dans le Calvados, le 18 juillet. Les cancers sont produits à la chaine par ces usines, et il faut des années de procédures qui souvent n’aboutissent à rien. C’est par exemple le cas des verriers de Givors qui viennent de signer une tribune soulignant notamment que l’État décrète des mesures « non pas tant pour prémunir la population des risques sanitaires que pour protéger les industriels ».
Enfin, récemment les ordonnances Macron qui ont réformé le code du travail, avec entre autres la suppression des CHSCT n’ont rien arrangés : la remise en cause de ces instances du personnels dédiées à la santé et à la sécurité, qui constituait un acquis arraché au patronat, a encore aggravé la mise en danger des travailleurs des sites Seveso.
Les sites Seveso sont dangereux en cas d’accident, mais n’inspirent souvent également pas confiance quant à la pollution qu’ils génèrent. Dans son livre, "La nature est un champ de bataille", Razmig Keucheyan explique que, par conséquent, les habitations autour des sites dangereux ont souvent des loyers plus faibles et sont plus accessibles aux classes populaires. Lorsque catastrophe il y a ce sont avant tout les classes populaires qui sont touchées. Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) qui s’appliquent aux sites Seveso permettent également à l’État... d’exproprier les riverains les plus proches.
De même dans les mesures de sécurisation et de protection après un accident les plus précaires passent en second, comme l’a souligné le site Lundi.am dans un article sur les gens du voyage vivant à 500 mètres de l’usine qui ont été complètement abandonnés. Les riches, eux, peuvent se permettre de quitter les zones intoxiquées car eux en ont les moyens, comme l’a souligné une manifestante à Rouen
C’est bien tout un système industriel, aux mains des capitalistes, qui met en danger la population et la biodiversité. Alors que les conséquences d’un accident peuvent être catastrophiques pour des milliers de personnes, seule une poignée de gens décident de ce qui est produit, comment, pourquoi, dans quelles conditions et quelles sont les mesures de protection nécessaires. Pour la planète et notre santé nous ne pouvons laisser une minorité de personnes à la recherche de bénéfices toujours plus important prendre des décisions aussi irréversibles. Nous devons revendiquer l’expropriation sous contrôle des travailleurs et de la population locale de ces usines. Il faut que les premiers concernés par les risques soient ceux qui s’assurent que la production est la moins dangereuse possible. Assez de mensonges, assez de dégâts, reprenons ces usines !
Publié par REVOLUTION PERMANENTE