Après le revers essuyé auprès du Conseil d’Etat, c’est le coup d’envoi à l’Assemblée Nationale pour le projet de loi du gouvernement sur la réforme des retraites. Du fil à retordre pour les députés de la majorité LREM et une occasion, pour les différentes formations politiques, de se positionner sur fond d’échéances électorales.
Une simple petite semaine s’est écoulée entre l’approbation du projet de loi sur les retraites par le Conseil des ministres et son premier examen en commission parlementaire, le lundi 3 février. Bien court. Cela n’a pas empêché la France Insoumise de prendre la tête d’une guérilla qui risque de durer au sein de l’Assemblée en déposant, à elle seule, 19 000 amendements. Si on ajoute ceux qui ont été proposés, essentiellement par la droite, c’est au total 22 000 amendements qui seront à examiner dans un délai de 15 jours, le vote parlementaire étant prévu pour le 3 mars ; soit en moyenne 2 minutes par amendement. Une course contre la montre qui pourrait bien mettre en difficulté le calendrier voulu par le gouvernement.
Bien entendu, face à cette tactique d’une ampleur inédite, gênante pour un gouvernement pressé d’en finir avec cette réforme qui lui donne tant de fil à retordre, Macron donne de la voix, par ministre des relations avec le Parlement interposé. Marc Fresneau, au micro de France Info, s’insurge contre ce qu’il qualifie de « politique d’obstruction » : « C’est dévoyer le rôle du Parlement, c’est dégrader le rôle d’un parlementaire, c’est au fond, devant les Français, dire qu’on ne veut pas le débat. »
Loin d’être désarmés par l’attaque, les députés LFI assument et revendiquent. Alexis Corbière explique : « C’est notre manière de faire comme les avocats ou les professeurs. Ils jettent leurs robes et leurs manuels pour montrer leur opposition à la réforme. Nous, on jette ces 19 000 amendements aux pieds du gouvernement. ». Il met ainsi en évidence le lien que les députés de la France Insoumise souhaitent entretenir, depuis l’hémicycle, avec les mouvements de grève et de manifestation, pour faire reculer Macron et empêcher sa loi de passer.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, prenant au mot le ministre, il affirme sur l’antenne de BFM TV : « Nous allons assumer que nous faisons de l’obstruction. »… « De la même manière qu’un syndicaliste fait grève pendant quarante-trois, quarante-cinq, cinquante jours et perd tout son salaire, les députés manqueraient à leur devoir s’ils n’utilisaient pas toutes les armes possibles pour retarder la décision finale qui pourrait s’imposer sans ça mécaniquement dans l’Hémicycle. ».
Si une telle tactique ne peut, à elle seule, avoir raison du projet de loi, elle a au moins le mérite d’être cohérente politiquement avec les positions prises face au mouvement pour la lutte contre la réforme et de tenter de provoquer son enlisement dans les méandres parlementaires
Outre cette stratégie d’obstruction, les députés de la France insoumise comptaient bien recourir à l’outil principal d’opposition au passage d’une loi au Parlement, la motion de censure. Tout naturellement, le groupe LFI en a fait la proposition aux groupes d’opposition socialiste et communiste. De manière pour le moins contestable, de la part d’un opposant de « gauche » à LREM, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure a récusé la proposition, du moins pour l’instant, arguant du fait qu’il souhaite mener un « débat jusqu’au bout » comme s’il y avait encore des choses à découvrir ou à prouver dans le projet de Loi. Il s’agit, plus vraisemblablement, de se réserver une porte de sortie auprès de l’aile gauche de LREM, jusqu’au plus près de l’échéance des municipales, quitte à recourir à un revirement de dernière minute. En se défaussant ainsi, même si son groupe a connu une réduction drastique après la gifle des dernières élections législatives, le Premier Secrétaire du PS ôte à la LFI et au PC toute possibilité de recueillir assez de voix pour déposer une motion de censure.
Prudent, le PC s’est aligné, et a imaginé une contre-proposition qui interroge tout autant. Sans soutenir vraiment mais sans écarter totalement l’hypothèse d’une motion de censure, il propose de la doubler d’une « motion référendaire », c’est-à-dire d’une proposition faite à l’exécutif de soumettre son projet de loi à référendum. Une proposition dont l’intention et l’efficacité apparaissent plus que douteuses, surtout quand on a vu, à propos de la privatisation d’ADP, comment se passe la mise en place d’un référendum à la Macron.
Mélenchon n’a donc pas beaucoup de chances de réussir dans son entreprise avec ses acolytes « de gauche », l’un bottant en touche sur la motion de censure et l’autre proposant une modalité de pseudo démocratie directe qui ne peut que susciter le scepticisme. L’unité et l’efficacité restent donc à trouver du côté des députés « de gauche ».
Dans une telle configuration politique, le recours au 49.3, cette extraordinaire botte de Nevers léguée par de Gaulle et les Institutions de la Vème République, devient une hypothèse de plus en plus plausible. Ce pourrait être en effet pour l’exécutif le meilleur moyen pour imposer rapidement sa loi, face à un processus parlementaire qui s’enlise dans des tactiques d’obstruction et en l’absence d’adoption d’une motion de censure qui seule pourrait l’en empêcher.
Ceux qui se sentent le plus à l’aise dans la situation et qui, d’une certaine manière, en bénéficient, ce sont Les Républicains. Même s’ils font mine de s’opposer sur le déroulement des opérations et les incertitudes financières du projet de loi, et se prétendent une « 3ème voie », ils sont, sur le fond, favorables à la défense des intérêts du patronat à travers la mise en œuvre dite « systémique » de la retraite par points. Un passage en force de Macron à l’aide du 49.3 ne serait pas pour leur déplaire.
C’est ce que n’a pas caché le président de leur groupe, lors d’un rassemblement devant les caméras au Palais Bourbon, en déclarant : « Finalement, le fait que LFI ait déposé 19 000 amendements, c’est une chance pour nous, ça radicalise les deux côtés, ça pousse le gouvernement jusqu’au 49.3, et nous apparaissons comme la seule partie tempérée dans un paysage chaotique ».
Ce n’est donc pas des débats et des votes au parlement que viendra le salut pour toutes celles et ceux que la loi sur les retraites menace. Ce n’est pas non plus des négociations façon Laurent Berger que rejoignent l’ensemble des partenaires sociaux que jaillira la seule solution valable : le retrait. La solution ne peut être que dans la reprise d’un mouvement de grève majoritaire, un moment interrompu pour se « refaire une santé » ; un mouvement dont les brûlots ne sont pas éteints et dont plusieurs feux nouveaux sont en train de s’allumer. C’est dès cette semaine qu’il faut repartir et mettre en place les moyens de la victoire.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE