Édouard Philippe a présenté ce matin sa démission. Pour le remplacer au poste de Premier Ministre, Jean Castex l'ex-conseiller de Sarkozy. Pour Macron qui annonçait jeudi vouloir relancer la réforme des retraites dès cet été, c'est sans surprise le choix d'un gouvernement de combat contre les travailleurs et les classes populaires.
Le nouveau Premier ministre Jean Castex et le président français Emmanuel Macron, à Créteil, le 9 janvier 2019. Pool via REUTERS / Ludovic Marin
C’est après le second tour des élections municipales qu’Édouard Philippe a présenté la démission de son gouvernement. Pourtant le Premier Ministre est bien l’un des seuls membre de la majorité présidentielle à en être sorti vainqueur en s’étant fait réélire à la mairie du Havre. En dehors de cela, la déroute annoncée pour le gouvernement a bien eu lieu. Entre l’abstention record et la déculottée dans les grandes villes comme Lyon ou Paris, La République En Marche a pris une claque. Logique, après trois ans de quinquennat Macron marquée par des attaques toutes plus anti-sociales les unes que les autres, combinées à l’autoritarisme croissant du gouvernement signe de son incapacité à imposer les réformes néo-libérales autrement que par la matraque.
Car le bilan du gouvernement d’Édouard Philippe c’est d’abord les ordonnances Macron qui permettent aujourd’hui au patronat d’imposer des Accords de Performance et de Compétitivité rétrogrades par le chantage à l’emploi. Une plus grande facilité pour les licenciements également que Macron a fustigé dans la presse en regrettant « la maladie française : la préférence pour le chômage ». Mais c’est aussi la casse du service public ferroviaire en 2018, et la casse de l’université publique avec la mise en place de Parcoursup et l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers. De même, c’est ce gouvernement qui a baissé les APL de 5€ pour les jeunes pendant qu’il supprimait l’ISF, et qui a voulu faire payer la facture écologique aux classes populaires en augmentant les taxes sur le carburant. Autant de provocations et de signes de mépris qui ont participé au déclenchement du mouvement des Gilets Jaunes, lui-même réprimé à coups de LBD et de grenades lacrymogènes.
Sans oublier évidemment la réforme des retraites passée à coups de matraque et de 49.3, malgré l’opposition de la majorité de la population (plus de 60% contre la réforme, et plus de 70% contre l’usage du 49.3), ni la gestion catastrophique et répressive de la crise sanitaire qui a fait près de 30.000 morts en France et a participé à dévoiler les carences d’un système de santé public rendu exsangue par les classes dominantes. Une politique anti-sociale et autoritaire qui a donc abouti entre autres à déclencher deux des mouvements de contestation parmi les plus importants sous la Vème République, et n’a pas été sans incidence sur la majorité présidentielle qui s’est elle-même effritée au fil des échéances, avec le départ d’un certain nombre de marcheurs et la perte de la majorité absolue de LREM à l’Assemblée Nationale en mai dernier.
Ce n’est donc pas pour rien qu’après son départ de Matignon, Emmanuel Macron a confié à Édouard Philippe une nouvelle mission. Selon BFM TV l’ancien premier ministre a désormais pour tâche de travailler à reconstruire la majorité présidentielle pour 2022, c’est-à-dire « de serrer les rangs du Modem, d’Agir, des Radicaux, ainsi que d’une partie des Républicains mais aussi de la gauche derrière le chef de l’Etat ». Une unité dans les rangs présidentiels avec comme point d’équilibre le centre-droit du juppéiste Édouard Philippe, marquée par la perte d’une base sociale populaire pour la majorité présidentielle.
Pour un Président qui se rêve en Jupiter, il n’est pas évident de laisser la place à n Premier ministre. Mais Macron a très vite retenu la leçon quand le pays s’est mis à scander chaque samedi « Macron démission » : il y a besoin de fusibles à faire sauter pour ne pas sauter soi-même. Édouard Philippe a donc été mis plus en avant comme l’exécutant des grandes orientations décidées à l’Élysée. A l’instar de la réforme des retraites ou du déconfinement du 11 mai annoncé en grande pompe par le président pour pousser le gouvernement à improviser l’organisation de la reprise de l’activité économique à marche forcée, au détriment des risques sanitaires. Cependant autant la réélection du Premier Ministre au Havre et son assise à droite, que la nécessité de renouveler l’image écornée de la majorité présidentielle pour les deux prochaines années du quinquennat ont poussé Emmanuel Macron à remanier son gouvernement. A la fois pour anticiper l’ombre que pourrait lui faire Édouard Philippe en vue des élections de 2022, pour faire peau neuve et relancer les attaques anti-sociales. En effet, la crise sanitaire et économique aidant, Emmanuel Macron sait qu’il va devoir mettre les bouchées doubles pour donner des gages au grand patronat en menant l’offensive contre les droits des travailleurs et des classes populaires.
En effet, dans une interview donnée le 2 juillet et retranscrite par Le Parisien, il affirmait ainsi « il y a des plans sociaux et il y en aura ». Après avoir que son gouvernement ait annoncé qu’il faudrait « vivre avec le virus », le président de la République annonce qu’avec la crise économique, il faudra donc vivre avec les plans sociaux . Une manière de réaffirmer son objectif : faire payer la crise aux salariés et sauvegarder les profits du grand patronat. Il va falloir travailler plus, il va falloir payer la dette : la réforme des retraites et les attaques contre les autres branches de la sécu refont surface avant l’été.
Dans ce contexte la nomination de Jean Castex au poste de Premier Ministre est le moyen pour Emmanuel Macron de renouveler le visage de son gouvernement afin de se préparer à mener une nouvelle offensive anti-sociale. Un « couteau suisse » selon Franck Louvrier qui déclarait au moment de sa nomination au poste de « ministre du déconfinement » que « non seulement c’est un haut fonctionnaire qui connaît très bien l’administration, mais, avec son expérience d’élu local, il sait comment fonctionne concrètement le pays. Il a l’habitude de travailler avec tout le monde, à chaque niveau de l’État. Le genre de profil qui manque à la macronie. En cette période de crise, il en faudrait dix comme lui… »
Cet énarque, ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy et maire LR de Prades, a d’abord été haut-fonctionnaire à la Cour des Comptes avant de devenir directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la Solidarité et de la Cohésion sociale entre 2004 et 2006, mais aussi directeur de cabinet de Xavier Bertrand au ministère de la Santé entre 2005 et 2007, et au Travail l’année suivante. Mais l’un de ses plus grands faits d’armes reste certainement d’avoir été au cœur du processus législatif conduisant à la Loi Hôpital 2005, dont il a fait adopter le décret d’application et qui introduisait ouvertement la logique de rentabilité au sein de l’hôpital public avec notamment la tarification à l’acte et l’encadrement strict du budget des hôpitaux. Le tout en centralisant le pouvoir de décision dans les mains des directeurs administratifs des hôpitaux. Un moment charnière dans la casse du système de santé public, soumis aux lois du profit, qui n’a fait qu’empirer depuis. Et pour cause, au cours des six dernières années, ce sont 13631 lits d’hôpital qui ont été supprimés pour des questions de coût.
Mais on ne pourrait définir aussi rapidement cet homme qui n’est pas que celui qui a participé à détruire l’hôpital public et à remplacer Raymond Soubie pour conseiller Nicolas Sarkozy, en qualité de Secrétaire général adjoint de l’Élysée (2011-2012). C’est aussi un haut-fonctionnaire, cumulard notoire, qui profite gracieusement des différents mandats qu’il collectionne. Ainsi au sujet de sa dernière déclaration datant du 14 janvier 2020, L’Obs rendait compte en détail : « Président de l’Agence nationale du sport (depuis 2019), il est aussi le monsieur JO 2024 de l’exécutif en tant que délégué interministériel (depuis 2017) aux jeux Olympiques et Paralympiques et aux grands événements sportifs. Il a perçu, pour cette dernière fonction, une rémunération de 160 467 € net en 2019. Il faut ajouter ses émoluments de maire soit 22 044 € brut par an et 25 670 € brut annuel pour son mandat de conseiller départemental. Soit un total de plus de 200 000 € par an. »
On l’aura compris, avec Jean Castex la macronie s’assure de ménager son centre-droit, c’est-à-dire à peu près tout ce qui lui reste de base sociale et électorale après trois ans de quinquennat, tout en évitant de participer à construire un potentiel concurrent en vue des élections présidentielles de 2022 comme Édouard Philippe pouvait l’être. Ces dernières semaines, Macron laissait même faire dire dans la presse qu’il réfléchissait à supprimer la fonction de Premier ministre. S’il ne le supprime pas, il s’arroge les services d’un exécutant fiable qui ne sera pas trop remuant. Macron-Jupiter, même en mettant des gardes-fous veut gouverner seul.
Le monde d’après du "nouveau monde" macronien n’a donc rien à envier au monde d’avant, et ce remaniement ministériel acte la volonté de Macron de continuer à s’en prendre aux classes populaires. Après la nomination de Castex comme « ministre du déconfinement » pour organiser la reprise de l’activité économique à marche forcée et au mépris des risques sanitaire, la nomination au poste de Premier Ministre de ce haut-fonctionnaire familier des attaques contre la fonction publique et habitué à conseiller la droite dure incarnée par Nicolas Sarkozy s’inscrit dans la continuité des politiques néo-libérales et antisociales menée par Macron et le grand patronat pour faire payer la crise aux travailleurs. Macron insiste sur la cooptation des "partenaires sociaux", sur le dialogue social. Il n’y aura encore et toujours rien à trouver à négocier dans les mêmes bureaux et salons, de ces mêmes bureaucrates aux visages nouveaux. D’ores et déjà, il faut travailler à l’unité des rangs de notre classe pour faire face aux attaques qui continuent de tomber et engager la contre-offensive.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE