Dans son interview jeudi à la presse sur la suite de son quinquennat en contexte de crise économique, Emmanuel Macron a confirmé sa volonté relancer la réforme des retraites, avec la reprise de concertations cet été. Il maintient ainsi le cap des attaques anti-sociales.
Crédit photo : Ludovic Marin / AFP
Avec l’instauration du confinement, les réformes en cours au début du mois de mars ont été suspendues. C’était le cas de la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR), du deuxième volet de la réforme du chômage et surtout de la réforme des retraites. Cette réforme a fait exploser pendant trois mois, à partir de 5 décembre 2019, une colère qui grondait depuis longtemps, qui est venue s’ajouter à la séquence ouverte par les Gilets jaunes et qui a été une véritable démonstration de force de la force de la grève, en particulier dans les secteurs du transport (SNCF et RATP) où elle a marqué le record de longévité pour une grève depuis 1968 ! Un mouvement qui a été également soutenu par une large part de l’opinion, opposée au modèle de la retraite par points, attaque mal déguisée en acte de « justice sociale » par le gouvernement.
Hier, lors d’un entretien donné à la presse quotidienne régionale, Macron se confie sur plusieurs sujets à propos de la suite de son quinquennat. Reconfinement, jeunesse, plan de relance dans l’aéronautique, convention citoyenne du climat, Ségur de la Santé, tout y passe... et la réforme des retraites fait son retour. Macron souhaite « réengager rapidement une concertation en profondeur, dans un dialogue de responsabilité associant les partenaires sociaux dès l’été ». Il se donne donc la période estivale pour préparer les attaques de la rentrée. S’il est apparu très clair sur le fait de maintenir le cap de la réforme, « « Il n’y aura pas d’abandon d’une réforme des retraites. » ; le niveau d’approximation sur les contours qu’elle va prendre reste fort. Il ajoute « Je suis ouvert à ce qu’elle soit transformée. » Transformée ? Mais comment ? Aucune précision n’est faite sur ces potentielles transformations. On sait seulement qu’il va y avoir des concertations et un « dialogue social ». Des formulations préfabriquées et un faux-semblant de discussions pour anticiper et contenir la colère accumulée avec les mobilisations de cet hiver, et la gestion catastrophique de la crise sanitaire.
En somme, rien n’est clarifié, tout est soumis à la « discussion ». Pas de précision sur l’âge pivot qui était censé être gelé, et un potentiel allongement de la durée de cotisation est évoqué, toujours avec le même flou qui plane : « Cette réforme ne peut pas être reprise de manière inchangée à la sortie de crise, mais la question du nombre d’années pendant lesquelles nous cotisons demeure posée. ». Beaucoup d’arabesques et de formulations pour un come-back d’une réforme dont le fond n’ a pas changé d’un iota : passer du calcul des 25 meilleures années (ou les 6 meilleurs mois pour la fonction publique) à toutes les années (aussi mauvaises soient-elles) avec le système par point, supprimer les régimes spéciaux faire baisser les pensions, augmenter le nombre d’années à travailler pour partir à la retraite.
Macron maintient malgré tout l’esbroufe du visage social de sa réforme en affirmant (le ridicule tue moins que l’austérité) qu’elle sera favorable aux travailleurs de « seconde ligne », « ces Françaises et ces Français engagés dans des petits emplois précaires qui ont fait tenir le pays » poursuit-il. Alors même que ce sont ces « héros de la nation » qui ont le plus subi la gestion catastrophique de la crise par le gouvernement, et qui se sont retrouvés dans des situations de grande précarité, ou ont vu leurs conditions de travail se dégrader fortement. Macron tente de cacher tant bien que mal qu’en vérité, cette réforme va précariser l’ensemble des travailleurs et des travailleuses. Il essaye de masquer que si la réforme était en application aujourd’hui, ce serait une hécatombe. Baisse des droits ouverts à la retraite lors de périodes de chômage comme des dizaines de milliers de personnes vont le vire (sans savoir pour combien de temps), de même qu’une baisse globale des pensions puisque 14 % du PIB aurait été alloué aux pensions de retraite. Pas besoin d’avoir fait de grandes écoles pour comprendre que 14 % d’un PIB qui s’effondre de 12 % comme cela va être le cas pour cette année, cela signifie une baisse généralisée des pensions à l’arrivée.
Pour tenir le cap de cette réforme malgré les remous de colère qui grondent encore et qui sont prêts à exploser à tout moment, Macron s’est bien entouré. Conscient qu’il lui fallait un allié de premier choix qui n’hésitera pas à foncer la tête la première pour venir à bout de son projet de réforme ; il profite du remaniement et du départ d’Edouard Philippe annoncé ce vendredi, pour rebattre ses cartes. Ainsi, nous apprenons vendredi matin qu’il choisit à ses côtés comme nouveau Premier Ministre, le sarkozyste Jean Castex, qui semble déterminé et dévoué pour accompagner Macron dans ses réformes les plus austéritaires. Lui-même a sur son CV quelques lignes qui en font un responsable de premier chef dans la casse de l’hôpital public, de-même qu’il était directeur de cabinet de Xavier Bertrand au ministère du Travail quand se dessinait la réforme des retraites passée sous Sarkozy.
La bourgeoisie dans son ensemble, effrayée par le potentiel explosif des réactions à la crise, veut absolument réhabiliter le « dialogue social » pour contenir la combativité qui pourrait repartir à tout moment. D’ailleurs, quand on lui demande s’il se sent responsable de la colère des mobilisations de cet hiver, Macron répond : « J’ai ma part de maladresse. J’ai parfois considéré qu’il fallait aller vite sur certaines réformes. Cela ne peut marcher que par le dialogue. » Macron joue la carte du mea-culpa, et de l’empathie. Il affiche un visage de remise en question prêt à faire des concessions. Pourtant, les quelques concessions vaguement promises ne sont que des carottes pour attirer à la table des négociations et ravir les bureaucraties syndicales qui ne demandent en général pas beaucoup pour être satisfaites.
Et pour le coup, les directions syndicales n’ont pas tardé à faire connaître leur avis. Les dirigeants confédéraux FO, CGT et CFDT critiquent la volonté de Macron de remettre la réforme des retraites sur le devant de la scène.« Ce n’est pas vraiment le bon moment de remettre ce dossier sur la table », dit Yves Veyrier, le leader de FO. Comme s’il y avait un bon moment pour faire passer cette réforme de casse sociale. Les directions syndicales ne s’insurgent pas pour les bonnes raisons. Elles se positionnent contre, certes, mais seulement derrière l’argument de l’unité nationale et de la paix sociale qui ne sont agitées que par le gouvernement qui espère faire oublier ses responsabilités en période de crise. Selon Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, « tout le monde sait que cette réforme va donner lieu à des mobilisations. Est-ce qu’on veut repartir là-dedans ou est-ce qu’on calme le jeu ? ». La situation en est-elle à calmer le jeu alors que les attaques contre les conditions de travail, contre les salaires et contre les emplois pleuvent dans tous les secteurs d’activité ? Déjà, le 13 novembre 2019 alors que la perspective d’un mois de décembre historique se profilait, Martinez appelait à la grève avec une lance à incendie en indiquant au gouvernement sur Sud radio : « on peut éviter la grève du 5 décembre ». Pourtant il n’y a jamais rien eu à négocier sans retrait total de la réforme.
Dans le contexte social actuel, et aux vues des attaques multipliées qui attendent les travailleurs, les classes populaires et la jeunesse, il apparaît de plus en plus évident que toute forme de dialogue social ne peut être qu’un piège visant à nous faire payer la crise. C’est pourquoi il est vital de préparer une contre-offensive massive, en misant sur la convergence des différents mouvements de ces derniers mois, contre la politique de Macron. A ce titre, il est indispensable d’exiger que ces directions syndicales coupent toute forme de dialogue social, et proposent un plan de bataille à la hauteur des enjeux. A ce titre, la rentrée sociale de septembre se doit d’être chaude.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE