SOURCE la Tribune
S'il consent à abandonner l'idée de réformer le régime général des retraites, le président de la République entend toutefois « s'attaquer » aux régimes spéciaux avant 2022. Un moyen de réaffirmer son image de réformateur, qui en 2017, avait contribué à le porter au pouvoir. Un pari à haut risque. Décryptage.
L'envie de montrer qu'il a la main. Pour la plupart des chefs de file des syndicats, c'est d'abord ce qui motiverait Emmanuel Macron à ouvrir le dossier sensible des régimes spéciaux de retraite. Selon nos informations confirmant celles des Echos, l'Elysée envisage bel et bien de les réformer avant 2022.
« Emmanuel Macron n'a pas apprécié que l'on refuse en bloc la concertation sur la réforme du régime général, il veut montrer qu'il est le chef », assure un leader syndical. Et un autre de confirmer : « en matière de retraites, il veut absolument donner quelques gages avant 2022 ». Surtout qu'Emmanuel Macron l'a souvent dit, à ses yeux, « c'est la mère des réformes ».
En cette période électorale, le chef de l'Etat entend réaffirmer son image de réformateur, qui en 2017, avait contribué à le porter au pouvoir. Son objectif : continuer à être le président de la transformation, même après le Covid. Surtout, pas question de laisser ce sujet à ses adversaires, à droite notamment. Enfin, alors que la France s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne en janvier prochain, Emmanuel Macron souhaiterait montrer à ses homologues que la France est engagée dans la voie du changement.
« C'est uniquement un argument politique »
A la tête de la CFE-CGC, le syndicat des cadres, François Hommeril s'agace : « Cette histoire des régimes spéciaux, c'est uniquement un argument politique ». Laurent Berger ( CFDT), comme Philippe Martinez (CGT), ou encore Yves Veyrier ( FO) partagent cet avis. Pour eux, c'est avant tout un symbole politique.
Tous d'ailleurs, font valoir leur surprise. La suppression des régimes spéciaux n'a pas été évoquée lors de leurs échanges avec le Premier ministre, la semaine dernière. « Jean Castex a-t-il été informé ou est-ce encore une volonté du seul Jupiter ? », s'interroge François Hommeril.
Pour l'Elysée, il s'agit d'assurer une forme de justice sociale
A l'Elysée, les conseillers mettent en avant la nécessité d'assurer une forme d'équité, de justice sociale entre les Français. La pandémie a fragilisé des catégories d'actifs, comme les indépendants, les auto-entrepreneurs et préservé les revenus des autres, des fonctionnaires notamment. Il est temps de gommer ces différences, source possible de contestation.
Autre argument avancé : un sondage publié début juillet, qui, selon eux, a marqué le Président. Selon Elabe, si les Français sont partagés sur un recul de l'âge de départ ( 62 ans), ils sont, en revanche, « à 65 %, partisans d'une suppression des 42 régimes existants, dont les spéciaux ».
Politiquement , les électeurs de François Fillon ( 80%), d'Emmanuel Macron (79%) , et dans une moindre mesure ceux de Marine Le Pen (62%), y sont favorables. L'adhésion à cette mesure est également nette chez les retraités (74%) - des électeurs importants pour une présidentielle. Enfin, l'Elysée compte insister sur « les contreparties ». Le chef de l'Etat s'est engagé, à assurer une pension minimale à 1 000 euros pour tous les actifs, y compris les agriculteurs ou les indépendants. Il pourrait la mettre en œuvre dès 2022.
Le pari risqué
Malgré cela, le pari est risqué. Philippe Martinez, le numéro un de la CGT, rappelle que le tout début du conflit des retraites, qui a occasionné des mois de grèves fin 2019 et début 2020, a démarré par une journée d'action à la RATP. Contre toute attente, la mobilisation avait été soutenue.
L'entourage du Président fait toutefois valoir que la situation a changé : avec le Covid, une partie des Français a apprivoisé le télétravail. Si le conflit venait à durer, ce pourrait être une option qu'entreprises et salariés adopteront pour contourner les débrayages.
Surtout, l'Elysée ne croit pas à une forte mobilisation. Pas sûr que les centrales soient suivies par leurs troupes sur la seule question des régimes spéciaux. « Il pourrait aussi y avoir des tiraillements entre la CGT et les centrales considérées comme plus réformistes, comme l'UNSA ou la CFDT », relève un conseiller.
Enfin, la SNCF, comme la RATP ont été fortement fragilisées par la crise et l'Etat a largement volé à leur secours. Les grèves ont un coût. Un jour de grève à la SNCF revient à près de 20 millions d'euros de pertes ... Dans ce contexte, alors que la crise sanitaire n'est pas encore terminée, les salariés de ces entreprises seront-ils prêts à défier le gouvernement ? A voir, sachant que dans le cas spécifique de la SNCF, le ministre des transports a mis de l'huile sur le feu en s'attaquant aux billets gratuits dont bénéficient les salariés et leur famille. Et ce dans un contexte d'ouverture à la concurrence du marché ferroviaire intérieur qu'un grand nombre de syndicats n'ont toujours pas digéré.
Le 5 octobre prochain devrait faire office de test. Une première journée d'action autour de la défense du pouvoir d'achat et la préservation du modèle social français est organisée par la CGT et FO... « Si le gouvernement agite le chiffon rouge des régimes spéciaux, il risque de nous aider à mobiliser », confie Yves Veyrier, de FO.
Quant aux économies réalisées, elles seraient toutes relatives. A la SNCF, depuis le 1er janvier 2020, plus personne n'est embauché sous statut. L'entreprise compte 150 00 salariés dont 25 000 contractuels et les agents (hors les 15 000 conducteurs) partent déjà en moyenne à 59 ans. La RATP compte 46 000 agents. Les industries gazières, elles, à peine quelques milliers.
Publié par FSC