Depuis le 6 décembre, un mouvement de grève est en cours dans l'entreprise Servair à l’aéroport de Roissy, une filiale sous-traitante de Air France qui s’occupe des plateaux repas dans les avions. Ils réclament notamment l’application de la convention collective que l’entreprise leur refuse malgré une décision de justice l’imposant. Nous avons interviewé Manu, délégué syndical CGT à Servairs.
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Catering Servair A380 CDG
Quel est le rôle de Servair sur le site de l’aéroport de Roissy ?
Depuis pas mal d’années, je suis délégué syndical central à Servair. Servair, à la base c’est une filiale d’Air France. Ça représente 6 000 salariés sur Roissy et Orly. Elle s’occupe de préparer les plateaux repas pour les passagers des compagnies aériennes. Ils font aussi du nettoyage des avions et accompagnement des passagers avec un handicap. Servair représente 2 500 salariés dans la maison mère plus 3500 qui sont des filiales à Roissy pour la plupart.
Comment s’est organisée la grève ? Quelles sont les causes de la grève et quelles sont vos revendications ?
On a organisé entre le 6 et le 11, six jours de débrayage le matin et le soir. A chaque fois, les débrayages durent 2 heures et demie le matin et le soir. On a refait la même chose vendredi et samedi dernier, deux jours pareil.
La grève s’organise autour de différentes revendications. Tout d’abord, on demande l’application de l’accord de branche de la convention collective. La boite existe depuis 50 ans, et ils la présentent comme une entreprise de restauration alors que c’est faux. Cela leur permet d’éviter d’appliquer les règles de la branche professionnelle. En septembre, ils ont pourtant été condamnés à appliquer la convention du transport aérien. Mais ils résistent car cela voudrait dire une augmentation de salaire. Tout ce qui permettrait de donner plus de choses aux salariés, ils refusent de l’appliquer.
Depuis avril 2020, il y a deux usines principales : une de 1300 salariés et une de 300. Les deux usines sont distantes de 2 km à Roissy. Depuis le premier confinement ils ont transféré toute l’activité du deuxième établissement dans le premier. Au début, il y avait moins d’activités à cause du covid et jusqu’à une certaine période il y avait beaucoup de chômage partiel et le boulot était réduit. Mais depuis avril 2021, le boulot a augmenté mais les activités des deux centres sont restées concentrées dans une usine. Cela pose beaucoup de problèmes de conditions de travail, notamment par rapport à l’épidémie. On conseille le télétravail mais nous on est une des rares usines où malgré le covid, ils ont regroupé les gens. Une usine où on était 1300 avant le covid, maintenant on est 2000. Nous on demande qu’ils réouvrent le deuxième établissement pour que nos lieux de travail soient remis aux normes. Même en dehors du covid pour avoir des conditions de travail dignes. Cette situation est aberrante quand on nous répète qu’il faut travailler à distance.
La troisième revendication concerne le billet d’avion. Avant le covid on avait des billets avec gratuité partielle. On avait ce droit jusqu’en 2020 mais la direction nous l’a enlevé. L’État donne des milliards à Air France, avec l’argument que c’est pour développer une politique écologique puisque le gouvernement leur a donné des critères de préservation de la planète. Ce qui devient risible c’est que les avions ont des places vides. Avant le covid on pouvait bénéficier de ces places. Avec nos impôts on aide Air France à sortir de la crise, mais la direction refuse que le personnel ait accès à ce type de billet et on fait voler des avions avec des places inoccupées. C’est une tromperie de dire que Air France préserve la planète avec les milliards qu’on leur a donnés.
Une autre de nos revendications concerne la cantine. Un des paradoxes de Servair c’est que c’est la boîte qui fait des plateaux repas mais la cantine est devenue ridicule. Ils font vraiment des économies sur tout. On mange dans des barquettes de foire pour les frites. On demande le rétablissement d’une cantine normale.
On réclame aussi l’embauche des intérimaires et des CDD. Avant le covid il y avait 500 postes permanents d’intérimaires. Quand il y a eu le covid ils les ont virés, ils ont pas eu le droit au chômage partiel. On demande l’embauche des intérimaires dans l’ordre d’ancienneté avant le covid.
Enfin, on demande le licenciement des directeurs qui font de la discrimination syndicale et de la corruption de délégués.
Quelle a été la réaction de la direction face à ce mouvement de grève. Est-ce qu’il y a eu de la répression ?
L’avantage de la direction c’est qu’à Roissy ils ont la gendarmerie qui intervient à tout bout de champ. Dès le premier jour, on faisait une AG dans la cantine et la gendarmerie est intervenue pour exiger que tous les salariés quittent l’entreprise pour qu’on soit obligé de quitter l’établissement. On a des badges délivrés par la police pour travailler car on est soumis à une réglementation où le préfet peut suspendre notre droit à travailler si on ne renouvelle pas notre habilitation.
Les gendarmes sont intervenus le premier jour en disant que l’AG devait s’arrêter et que tous les grévistes qui restaient dans la zone de l’établissement pouvaient se voir retirer leur badge pour travailler. C’est la première chose qui a eu une incidence sur le mouvement de grève. Après nous on a dénoncé le fait que la gendarmerie emmerde les grévistes mais pas les patrons qui ne respectent pas la convention collective.
La direction a utilisé un autre argument : une loi dans le transport aérien exige que les grévistes se déclarent 48h avant. Normalement dans le privé on peut faire une grève surprise. Mais dans l’aérien ils utilisent une loi pour les pilotes, pour exiger que les grévistes se manifestent 48h avant de démarrer la grève. Normalement, lorsque la loi est passée en 2012, elle était faite avec le prétexte de permettre à la compagnie d’informer les passagers. Mais maintenant les entreprises comme Servair utilisent cette loi non pas pour informer les passagers mais pour contrecarrer les effets de la grève. Pendant 48h ils réorganisent le boulot, ils font venir des intérimaires, des cadres, des mecs de repos, des non-grévistes. Comme ça, le jour où la grève démarre, ils atténuent énormément son impact. Nous on dénonce cela comme un détournement de la loi. Ils ont fait pareil dans la sûreté.
Depuis 8 ans que cette loi existe ils arrivent beaucoup à limiter l’effet des grèves. Tout se passe sous l’œil de la gendarmerie qui laisse faire. Et si on empêche des intérimaires de travailler, on va retirer ton badge et les donner au préfet. Ce sont des techniques que l’on connaît bien. Par contre, l’intervention de la gendarmerie dès le premier jour dans une AG c’était inédit.
Quelles sont les perspectives pour la suite du mouvement ?
Au niveau du moral des gens, le fait qu’il y ait eu les 6 jours c’est plutôt positif. L’ambiance dans la boite est un ras le bol, surtout depuis le covid. On est passé d’une période sans boulot en 2020 quand les avions se sont arrêtés, avec une peur de perdre notre travail à un regain de l’activité. Avec l’aide de l’État pour soutenir les boîtes, les gens ont appris à voir que les patrons qui passent leur temps à pleurnicher qu’ils ont pas d’argent, au final ils étaient bien soutenus pour traverser la période. La direction s’est servi de ça pendant un an pour bloquer les salaires, baisser les primes, trouver des syndicats pour signer des APC (Accord de Performance Collective). Les gens maintenant ont un peu la haine. Un ras le bol et une colère, une rage contre le fait qu’ils continuent de récupérer des milliards mais de faire des économies sur les salariés et être mis de côté. Ils racontent des trucs sur le sanitaire mais dans la boite les patrons font ce qu’ils veulent, nous on est les uns sur les autres. Et la gendarmerie ne dit rien.
À la boite ce côté là ressort beaucoup, l’impression d’être pris pour un imbécile.
On va continuer la grève en janvier. Il y a une autre grève à Orly en ce moment, dans une boite similaire à Servair : Orly Air traiteur. Ils étaient en grève pour les mêmes revendications. Mais la direction met la pression sur les grévistes, elle vient de convoquer un entretien pour licenciement d’un délégué syndical. On est en contact avec les grévistes d’Orly et on se soutient puisqu’on a les mêmes revendications.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE