Santé magazine, 06 décembre 2021 |
Des chercheurs recommandent aux personnes dont la profession implique de travailler en soirée de manger seulement pendant la journée et non pendant leur service. Cette habitude empêcherait en effet un « désalignement » de leur horloge interne, phénomène qui favorise l'intolérance au glucose et donc l'apparition de troubles métaboliques comme le diabète. Travail de nuit, travail posté (travail en rotation en 3 x 8 heures sur 24H)... certaines personnes doivent faire avec des horaires de travail atypiques en raison de leur profession. Or, la question du lien entre ce type de rythme de travail et les risques pour la santé se pose depuis plusieurs années. Le Centre international de recherche sur le cancer a d’ailleurs inscrit le travail posté à la liste des agents « probablement cancérogènes » en 2007, mais les chercheurs s'intéressent aussi au risque de survenue de diabète de type 2 pour les personnes concernées. En cause : une désynchronisation de l’horloge biologique en raison des changements d’exposition à la lumière et d’une dette de sommeil. Une étude soutenue par les National Institutes of Health révèle que manger pendant la nuit, comme le font de nombreux travailleurs postés, peut augmenter les niveaux de glucose dans le sang, tandis que manger uniquement pendant la journée pourrait empêcher ce phénomène, et ainsi limiter le risque de diabète de type 2. Ces résultats publiés dans la revue « Science Advances » pourraient conduire à de nouvelles interventions comportementales visant à améliorer la santé des travailleurs postés (épiciers, employés d'hôtel, chauffeurs de camion et de taxi, personnel médical...) en éloignant le risque de diabète de type 2 et avec lui d'autres pathologies associées que sont l'obésité et les maladies cardiaques. Manger en journée ou en soirée ? Les deux possibilités testées Cette étude est la première à démontrer l'effet bénéfique de ce type d'intervention sur l'heure des repas. « Il s'agit d'une étude qui démontre une intervention potentielle pour les effets métaboliques indésirables associés au travail posté, qui est un problème de santé publique connu. », explique Marishka Brown, coordinatrice de l'étude. « Nous attendons avec impatience les études supplémentaires qui confirmeront les résultats et démêleront leurs fondements biologiques. » Pour l'étude, les chercheurs ont recruté 19 jeunes participants en bonne santé, assignés au hasard à un protocole de 14 jours impliquant des conditions de travail de nuit simulées avec deux horaires de repas différents selon chaque groupe. Les participants du premier groupe ont mangé pendant la nuit pour imiter un horaire de repas typique des travailleurs de nuit, et ceux du deuxième groupe ont mangé pendant la journée. Les chercheurs ont ensuite évalué les effets de ces horaires de repas sur leur rythme circadien, un cycle d’une durée de 24 heures. Ce processus interne régule non seulement le cycle veille-sommeil, mais aussi d'autres fonctions de l'organisme : température corporelle, pression artérielle, production d’hormones, fréquence cardiaque, capacités cognitives, humeur ou encore la mémoire et le métabolisme. Ce rythme circadien est endogène, c’est-à-dire qu’il est généré par l’organisme lui-même. Des perturbations du rythme circadien directement en cause Les chercheurs ont découvert que manger la nuit augmentait les niveaux de glucose, facteur de risque de diabète, mais la prise de repas uniquement en journée empêchait cet effet. Plus précisément, les niveaux de glucose moyens pour ceux qui mangeaient la nuit ont augmenté de 6,4% pendant le travail de nuit simulé, tandis que ceux qui mangeaient pendant la journée n'ont montré aucune augmentation significative. « Il s'agit de la première étude à démontrer l'utilisation de l'heure des repas comme mesure contre les effets négatifs combinés d'une altération de la tolérance au glucose et d'un alignement perturbé des rythmes circadiens résultant d'un travail de nuit. », expliquent-ils. Quant au mécanisme derrière cet effet observé, une hypothèse est évoquée. Déjà évoquée dans de nombreuses études, celle-ci serait que les effets de l'alimentation nocturne sur les niveaux de glucose pendant le travail de nuit sont causés par un désalignement circadien. Soit un décalage entre l'horloge circadienne centrale située dans l'hypothalamus du cerveau et les cycles comportementaux sommeil/éveil, lumière/obscurité et jeûne/alimentation, qui peuvent influencer toutes les « horloges » périphériques dans tout le corps. Le décalage de l'horloge circadienne centrale avec le cycle de jeûne/alimentation serait particulièrement en cause dans l'augmentation des niveaux de glucose. L'équipe scientifique suggère en outre que les effets bénéfiques de l'alimentation en journée sur les niveaux de glucose pendant le travail de nuit pourraient s'expliquer par un meilleur alignement entre ces « horloges » centrales et périphériques. « L'étude renforce l'idée que le moment où vous mangez est important pour déterminer les résultats pour la santé tels que les niveaux de sucre dans le sang. C'est pertinent pour les travailleurs de nuit car ils mangent généralement pendant leur quart de travail. », ajoutent les chercheurs. Pour traduire ces résultats en interventions concrètes, ils estiment que davantage d'études sont nécessaires, y compris avec des travailleurs postés « réels » dans leur environnement de travail typique. |