Même si les chiffres du nombre de conflits sociaux seront publiés plus tard par le ministère du Travail, l’année sociale 2022 a été particulièrement chargée. Portées notamment par l’inflation et les pénuries de main-d’œuvre qui ont souvent fait infléchir le rapport de force, de nombreuses contestations se sont soldées par des victoires des salariés mobilisés. On fait le tour de cette année sociale avec 15 grèves qui ont marqué les esprits.
Le monde de l’Education nationale ouvre le bal social
C’était l’un des premiers conflits sociaux de l’année. Une grève présentée comme «massive», «historique» ou encore «jamais vue depuis vingt ans». Ce qui s’est traduit dans les chiffres, avec une mobilisation record depuis 2003 : 62 % du personnel des collèges et lycées a débrayé le 13 janvier pour dénoncer le protocole sanitaire mis en place par le gouvernement selon le Snes-FSU. 75 % de grévistes dans le premier degré et une école fermée sur deux selon le Snuipp-FSU. Soumis à des protocoles sanitaires stricts et changeant sans cesse, les CPE, principales, assistants d’éducation, profs du premier et du second degré expliquaient être à bout.
Plusieurs grèves interprofessionnelles pour les salaires
Une intersyndicale a appelé dès janvier à manifester pour la revalorisation des salaires, alors que les négociations avaient échoué ou été suspendues dans plusieurs branches, et que l’inflation a explosé, mettant à mal le pouvoir d’achat. D’autres ont eu lieu, à la rentrée de l’automne, alors que la hausse de prix s’est accélérée. Celle du 18 octobre a réuni plusieurs centaines de milliers de manifestants à travers toute la France.
Le long combat des salariés de la petite enfance
Nombre de sections de crèches ont été fermées à Paris et ailleurs en raison de mobilisations de leurs salariées tout au long de l’année. Dans une manifestation fin mars, elles dénonçaient la dégradation des conditions de travail et un manque de personnel chronique. Les employées des maternelles ont de leur côté appelé à faire grève au premier lundi de l’année scolaire pour obtenir de meilleures rémunérations.
Pour la première fois depuis vingt ans, un mouvement de contestation a eu lieu en juin au sein du ministère des Affaires étrangères. L’objet de leur courroux : la réforme de la haute fonction publique qui menace de faire vaciller le Quai d’Orsay. A partir de 2023, deux des plus prestigieux grades du personnel diplomatique français disparaissent en effet pour fusionner au sein du corps des «administrateurs de l’Etat», qui regrouperont désormais l’ensemble des hauts fonctionnaires. Cent postes supplémentaires ont depuis été annoncés, en décembre, une forme de réponse du gouvernement à une contestation inédite et qui a débouché sur la création d’une association.
La promotion 2021-2022 de l’ENA, la première à expérimenter la réforme de l’école voulue par Emmanuel Macron, a elle aussi protesté en juin contre une «scolarité mal préparée» et une liste des postes à la sortie «extrêmement différente» de celles des années précédentes.
Les raffineurs mettent le pays à l’arrêt
C’est peut-être la grève la plus marquante de l’année 2022. Au sortir de l’été, les raffineries et dépôts pétroliers se sont tous ou presque mis à l’arrêt pour exiger le partage de l’énorme gâteau de la manne pétrolière. Le gouvernement effrayé, la direction de TotalEnergies longtemps arc-bouttée, des automobilistes subissant les pénuries de carburants… Le feuilleton social a rythmé l’automne. Et l’exécutif a même été jusqu’à ordonner la réquisition du personnel des lieux bloqués, une décision que la CGT a fustigée. Mais Emmanuel Macron a voulu taper fort, par crainte de voir le mouvement faire tache d’huile – ce que nombre de salariés mobilisés ont par la suite invoquer pour leur propre contestation.
La Bibliothèque nationale de France sens dessus dessous
La réorganisation des services de la BNF annoncée par sa direction a été combattue toute l’année par des salariés et des lecteurs. Dans un mouvement de grève entamé le 10 mai, l’intersyndicale CGT-FSU-SUD a par ailleurs réclamé plus de moyens et de meilleures conditions de travail. En septembre, le site historique de Richelieu avait même connu une journée de grève… le jour de sa réouverture après douze ans de travaux.
Le piquet des sans-papiers à la Poste depuis plus d’un an
Une quarantaine d’ex-intérimaires de Chronopost et DPD campent depuis fin 2021 sur deux sites franciliens de ces filiales de la Poste. Embauchés par le sous-traitant Derichebourg, ces travailleurs étrangers ont dénoncé en juin auprès de Libération des conditions de travail dignes de l’«esclavage moderne». Selon eux, ces dernières années, la Poste est devenue de plus en plus dépendante de l’exploitation de travailleurs sans papiers. Plus d’un an après le début du mouvement, SUD PTT expliquait le 26 décembre qu’«aucune réponse n’a été donnée» aux personnes mobilisées.
Les courtiers font le siège de la Banque de France
C’est la première manifestation de ce genre dans l’histoire de la profession. Le 20 septembre, une grosse centaine de courtiers s’est rendue devant le siège de la Banque de France afin d’exprimer un «ras-le-bol général». Le mouvement a par ailleurs permis d’illustrer les difficultés de la filière causée par le mécanisme du taux d’usure, dans un marché de l’immobilier plombé par la hausse des taux. «On a prouvé que la mobilisation a payé et que, sans rapport de force, rien n’avance», a résumé Bérengère Dubus, secrétaire générale de l’Union des intermédiaires de crédit.
Les centrales nucléaires à l’arrêt et la panique chez EDF
C’est un conflit qui a effrayé jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. En pleine préparation face à la crise énergétique de cet hiver, les agents EDF des centrales nucléaires ont su user de leur rapport de force pour obtenir gain de cause. Au fil de l’automne, la FNME-CGT a fait s’arrêter la production et la maintenance des réacteurs un à un, dans toute la France. A tel point qu’il n’aura fallu que deux petits jours de discussion pour que la direction accède aux revendications du syndicat : 2 NR (niveaux de rémunération dans les grilles de salaire des agents), l’équivalent de 200 euros minimum d’augmentation pour tous les agents. Un montant qui servira de canon de discussion pour toutes les entreprises de la branche des industries électriques et gazières (IEG) par la suite.
Le secteur de l’énergie multiplie les victoires sociales
Dans le sillage d’EDF, la puissante Fédération nationale des mines et de l’énergie (FNME)-CGT a mis sur la table ces 200 euros minimum comme indispensable. Certains n’ont pris qu’une journée, d’autres ont nécessité davantage de temps mais les succès se sont succédé. En particulier dans deux entreprises symboles en France, en charge de la distribution de l’énergie : Enedis et GRDF, soit les enfants d’EDF-GDF. Après le blocage de nombreuses agences, les pros de l’électricité ont réussi à avoir leur augmentation début novembre. Chez GRDF, la situation s’est en revanche enlisée. Mais alors que la situation semblait inextricable, la direction et la CGT se sont de nouveau mises autour de la table. Et si les 2 NR n’ont pas été officiellement été entérinés, on apprenait à quelques jours de Noël que tous les agents obtiendront bien, minimum, 200 euros par mois en 2023.
Les agents d’accueil de la Philharmonie de Paris coupent le son
Pendant plus d’un mois, une quinzaine de jeunes chargés de l’accueil de l’établissement culturel parisien, sous-traités à une grande entreprise d’intérim, se sont mobilisés pour des hausses de salaires et de meilleures conditions de travail. Libération racontait fin novembre comment c’était pour certains le tout premier contact avec le militantisme.
Les services de transports en plein marasme social
Pénurie de main-d’œuvre, salaires atones, conditions de travail compliquées… Le secteur des transports collectifs a vu se multiplier partout en France des mouvements et des crises sociales. La maintenance RATP, grâce à sa nouvelle grève perlée pointue, a eu un impact considérable avec en ligne de mire la remise en cause du système de rémunération et la dégradation de leurs conditions de travail. Mais toute l’année, des conflits ont éclaté, sans que la plupart ne semblent avoir débouchés sur des revendications satisfaites. Ce qui présage d’une année 2023 tout aussi agitée, sur fond de dysfonctionnements du réseau francilien et de préparation à l’ouverture à la concurrence.
Les salariés du géant pharmaceutique Sanofi veulent partager les profits
Une quinzaine de sites du géant pharmaceutique français se sont mobilisés pendant plusieurs semaines à l’automne. Ils exigent alors des revalorisations salariales dignes des énormes bénéfices générés par Sanofi. A Val-de-Reuil (Eure), des salariés expliquaient le 8 décembre leurs revendications alors que «la fatigue pren[ait] le dessus». Certains syndicats, majoritaires, ont signé un accord salarial avec la direction au bout d’un mois, même si d’autres salariés et la CGT souhaitaient poursuivre le mouvement. Depuis, CGT et Solidaires fustigent des procédures disciplinaires qui auraient été engagées contre des salariés mobilisés.
Chez Geodis, la logistique réclame sa part
Les employés de la plateforme de distribution et de transport ont cessé le travail pendant un mois. A Gennevilliers, plusieurs représentants syndicaux et politiques ont défilé, notamment le 25 octobre, pour soutenir ces salariés invisibles, qui exigeaient des revalorisations salariales, alors que l’entreprise a affiché des profits records en 2021.
Et mi-novembre, un accord signé prévoyait que les salariés bénéficieraient notamment d’une augmentation de 4 % et d’une prime de fin d’année de 300 euros bruts. «La grève, on sait quand ça commence mais on se sait jamais quand ça finit. On se battra jusqu’à ce qu’on obtienne gain de cause», assurait à Libération Idris, 35 ans, membre de la CGT Geodis. Dont acte.
Les trains restent à quai à Noël
C’est à la fois la dernière grosse grève de l’année mais aussi l’une des plus retentissantes. Alors qu’aiguilleurs et contrôleurs avaient prévenu depuis des mois qu’un conflit social d’ampleur s’amorçait contre des salaires trop bas et des conditions de travail dégradées, la direction de la SNCF n’avait toujours pas donné des réponses à la hauteur des personnes mobilisées. Notamment du côté des contrôleurs, dont la sauce a pris en dehors de tout cadre syndical.
Résultat : des centaines de trains supprimés pendant le week-end de Noël, des usagers en colère et un gouvernement qui a multiplié les sorties médiatiques. Et pour sauver le réveillon du Nouvel An, la direction a remonté sa proposition d’augmentation de salaire, accord qui a été signé par les syndicats.