Avertissement. La phrase suivante risque de heurter la sensibilité du lectorat traditionnel de Marianne : Alain Minc a raison. L’homme de la « mondialisation heureuse » toujours placé au centre du « cercle de la raison » voit juste quand, interviewé sur LCI, il donne le principal mobile d’Élisabeth Borne : sa réforme de la retraite vise à satisfaire les marchés. Les calculs d’apothicaires sur les déficits de l’assurance-vieillesse, les milliers d’amendements retoqués, les coups de menton et de com adressés à l’opinion publique remontée comme un coucou contre le report de l’âge légal… Toutes ces considérations de haute ou de basse politique tiennent en fait à un petit chiffre, à un vulgaire pourcentage, à un taux d’intérêt plus exactement. Celui payé par le Trésor Français à ses créanciers, souvent fonds de pension américains et banques d’affaires anglo-saxonnes. Avec une ardoise publique de 3 000 milliards d’euros, l’État doit aujourd’hui rémunérer à 2,80 % l’argent prêté à dix ans par ce beau monde. « On ne paye que 0,5 % de plus que l’Allemagne […] Ce qui est une espèce de bénédiction peut être imméritée », estime Alain Minc. Une faveur faite par la City et Wall Street à la France du passif que le trio Macron-Borne-Le Maire entend sauvegarder à tout prix.
Comme le lait sur le feu, l’Élysée, Matignon et Bercy surveillent ce fameux taux d’intérêt des emprunts français, plus précisément l’écart, le « spread » dans le sabir des marchés, par rapport au voisin allemand, réputé le plus vertueux. Et pour obtenir des prix corrects sur les marchés, il faut donner des gages austéritaires aux investisseurs, leur dire combien la France, cette grosse cigale, peut se changer en petite fourmi. Sous peine de rejoindre la cohorte des débiteurs de malheur peuplée d’Espagnols, d’Italiens ou de Grecs forcés de s’endetter entre 3,3 % et 4,2 %. L'accord entre la France et les marchés tient donc en une poignée de mots : moins de 3 % d’intérêt sur les marchés contre plus de deux ans à travailler. Mon royaume pour un taux. La souveraineté française se mime au Parlement, se chante dans les manifestations mais se joue sur les marchés.
Alors évidemment, Alain Minc et ses épigones néolibéraux semblent s’accommoder fort bien de cette mise sous surveillance. Pardi, sans la corde de rappel des fonds de pension, la France – sous l’effet de sa fibre révolutionnaire – se laisserait aller à la facilité, au mépris de sa dette et de ses traites. Une vieille rengaine déjà chantée sous la Restauration. Pour sauvegarder l’épargne des possédants, la charte de 1815 stipulait même dans son article 70 : « La dette publique est garantie. Toute espèce d'engagement pris par l'État avec ses créanciers est inviolable ». Aujourd’hui, pas besoin d’une Constitution : une loi suffit.