SOURCE : La Tribune
8 mars
« C'est très tendu du côté du gaz », prévient Fabrice Coudour, secrétaire fédéral de la CGT Énergie. Les quatre terminaux méthaniers permettant d'alimenter la France en Gaz naturel liquéfié (GNL) sont à l'arrêt jusqu'au 13 mars prochain, tandis que l'ensemble des 14 sites de stockages de gaz sont également bloqués depuis 8h30 ce matin. « Les quatre terminaux méthaniers et les sites de stockage représentent plus que toutes les capacités de production d'électricité. A partir de très peu de sites, on vient paralyser le système », souligne Fabrice Coudour.
Ces blocages constituent, en effet, de puissants leviers aux mains des syndicats de l'énergie, fermement décidés à faire plier le gouvernement sur la réforme des retraites, afin notamment de conserver leur régime spécial propre à la branche des Industries électriques et gazières (IEG).Ce sont, en effet, des outils industriels éminemment stratégiques pour la sécurité d'approvisionnement en gaz de la France depuis l'invasion russe de l'Ukraine il y a un an.
Quatre terminaux GNL stratégiques à l'arrêt
Alors que l'Hexagone ne reçoit plus aucune molécule russe par pipeline depuis cet été, le pays s'est largement tourné vers le GNL, essentiellement importé depuis les Etats-Unis.
[POUR INFO c'est aussi suite au sabotage des gazoducs Stream par les USA comme révélé par le journaliste d'investigation Seymour Hersh effectué contre les intérêts européens et allemands en particulier.
Ce qui permet effectivement aux Etats-Unis de fourguer à des prix prohibitifs leur GNL]
Les trois terminaux d'Elengy (filiale d'Engie) ont ainsi vu leur activité grimper en flèche (+70%) avec l'accueil de 330 navires méthaniers en 2022, ce qui correspond quasiment à l'arrivée d'un navire par jour.
Or, ces trois terminaux, situés à Fos-sur-Mer (Bouches du Rhône) pour deux d'entre eux, et à Saint Nazaire (Loire Atlantique), sont complètement à l'arrêt confirme Elengy à La Tribune. Aucun navire n'arrive, aucun navire n'est déchargé et aucun gaz n'est injecté dans le réseau opéré par GRTgaz. Même scénario pour le terminal méthanier de Dunkerque LNG, le quatrième et dernier que compte la France.
Dans ce contexte, pour compenser l'absence d'approvisionnement en GNL, les 14 sites de stockage (12 opérés par Storengy, filiale d'Engie, et deux par Terega) doivent être sollicités à 100%. Ces sites sont remplis de gaz l'été, lorsque la demande est faible, pour pouvoir injecter du gaz sur le réseau l'hiver, lorsque la consommation augmente. Plus le débit de sous-tirage est fort, plus le volume de gaz alimentant le réseau est important.
Baisse de débit sur trois sites de stockage majeurs
Or, les grévistes de Storengy viennent d'acter en accord avec leur direction une baisse de débit du sous-tirage sur trois sites de stockage : à Chémery (Loir et Cher), qui est le plus grand site de stockage d'Europe, à Gournay sur Aronde (Oise) le deuxième site le plus important du Vieux Continent ainsi qu'à Etrez (Ain), un site de taille plus petite, mais stratégique pour l'alimentation de la région Paca.
Lire aussiRetraites : les sites de stockage de gaz affectés par les grèves, comme les terminaux GNL (lien : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/retraites-les-sites-de-stockage-de-gaz-affectes-par-les-greves-comme-les-terminaux-gnl-954346.html)
En parallèle, des opérations techniques quotidiennes ne peuvent plus avoir lieu sur l'ensemble des sites de stockage en raison des blocages. « Si les camions, assurant le bon process industriel, ne peuvent pas faire des allées et venues, au bout d'un moment les sites de stockage ne pourront plus délivrer de gaz », prévient Fabrice Coudour.
Le blocage des sites de stockage a été voté pour 24 heures. Sa poursuite, ou non, sera votée demain à 8h30 lors des prochaines assemblées générales. « Nous sommes prêts à maintenir le blocage jusqu'au retrait du gouvernement. Nous avons fait les plannings et les courses pour tenir jusqu'à la fin de la semaine », raconte Frédéric Ben, responsable du secteur gaz à la FNME-CGT, depuis le piquet de grève de Gournay-sur-Aronde.
Des effacements chez les industriels à prévoir ?
« Si les choses n'évoluent pas du côté du gouvernement, la pression va baisser dans le réseau de gaz et on peut arriver à des problématiques de décrochage de la production d'électricité depuis les centrales combinées gaz, qui intervient lorsque la pression descend en dessous de 42 bars », expose Fabrice Coudour. « A l'instant T, il n'y a pas d'impact pour les usagers, mais au bout de plusieurs jours, le gestionnaire du réseau sera obligé de procéder à des effacements auprès d'industriels grand consommateurs de gaz », ajoute-t-il.
Au bout de combien de jours de blocage un tel scénario pourrait intervenir ? Le délégué fédéral ne se prononce pas. « Tout dépend de la consommation de gaz », explique-t-il. En revanche, Frédéric Ben est beaucoup plus catégorique. « D'ici la fin de la semaine, la pression dans le réseau de gaz pourrait baisser et conduire à effacer des industriels », assure-t-il.
« Faire plier le gouvernement, pas assécher le réseau »
« Nous voulons faire plier le gouvernement, pas assécher le réseau, » précise Frédéric Ben. Un tel scénario serait effectivement catastrophique. « Contrairement au réseau électrique, il faut compter environ trois mois pour remettre en service le réseau gazier. Il faut d'abord fermer les robinets chez tous les clients, remettre en pression le réseau, vérifier qu'il n'y a que du gaz dans les tuyaux et non un mélange air-gaz, puis rouvrir tous les robinets en se rendant systématiquement chez chacun », détaille-t-il. « Cela aurait, en plus, un effet domino. Les usagers se reporteraient sur l'électricité ce qui accentuerait la pointe de consommation, et pourrait faire tomber le réseau électrique aussi », poursuit-il.
« Le réseau de gaz est correctement alimenté dans un contexte de consommation modérée avec des températures douces, qui conduisent à l'arrêt spontané des centrales combinées gaz. Les importations et le sous-tirage des stockages permettent de satisfaire la demande intérieure », commente, pour sa part, le gestionnaire du réseau sans réagir directement aux alertes des syndicats. « GRTgaz reste vigilant et suit l'évolution de la situation », ajoute-t-on.
En dehors du GNL et des sites de stockage, la France peut s'appuyer, pour son approvisionnement en gaz, sur les molécules venant de Norvège et d'Algérie. Mais ces quantités sont insuffisantes pour répondre à la demande. Le réseau gazier est également alimenté par la production locale de biogaz. Ces derniers sont amenés à croître rapidement dans les mois à venir, mais ne représentent, pour l'heure, qu'une goutte (à peine 2%) de la consommation totale de gaz.
ZOOM- Raffineries bloquées et baisse de production des centrales
La CGT a revendiqué mardi après-midi avoir la main sur 21.000 mégawatts (MW) de production électrique chez EDF, où près de la moitié des salariés étaient en grève. Les grévistes étaient responsables d'une baisse de production de quelque 13.000 MW sur les centrales thermiques et nucléaires, un niveau « historique », selon le syndicat, équivalent à une douzaine de réacteurs, et bloquaient 8.000 MW de puissance disponible sur les barrages. Des grévistes ont procédé à des coupures sauvages à Annonay (Ardèche), fief du ministre du travail Olivier Dussopt, ainsi qu'autour de Boulogne-sur-Mer et à Périgueux, contraignant le tribunal judiciaire à interrompre ses audiences. Enedis a annoncé qu'il allait porter plainte. Un blocage pourrait entraîner des retards dans la maintenance de centrales nucléaires: celui du site de Velaines (Meuse), où sont stockées des pièces. Des barrages ont aussi été érigés dans plusieurs zones industrielles, à Lesquin près de Lille, à Boulogne-sur-Mer, à Valenciennes ou à Amiens, bloquant ou filtrant les camions.
Les expéditions de carburants étaient bloquées mardi à la sortie des sept raffineries de France (TotalEnergies, Esso-ExxonMobil et Petroineos), a affirmé le syndicat CGT-Chimie. Si ces blocages se poursuivaient, ils pourraient mener à l'arrêt des raffineries, faute de place pour stocker le carburant produit, puis à des pénuries dans les stations-service, même si les professionnels estimaient mardi ce scénario encore peu probable.
Avec AFP)
Publié par FSC