[Crédit photo : CGT Dordogne]
La papeterie de Condat licencie la moitié des salariés après avoir touché 33 millions d’argent public
Fin juin, le groupe Lecta, propriétaire des papeteries de Condat en Dordogne, a annoncé la suppression de 187 emplois. Après un investissement massif d’argent public, ces licenciements montrent le mépris du patronat pour les ouvriers.
Le 20 juin dernier, le groupe espagnol Lecta, propriétaire de la papeterie de Condat-sur-Vézère (Dordogne) a annoncé la fermeture d’une ligne de production, menaçant ainsi 187 postes sur les 420 que comptent l’usine. Un attaque scandaleuse contre les salariés de l’entreprise et ses sous-traitants. Les syndicalistes présents dans la grève estiment ainsi que pour un emploi perdu à la papeterie ce sont trois emplois qui sont menacés en Dordogne.
Une manœuvre sur les chiffres pour faire passer la pilule
Pour justifier ces licenciements, le groupe a usé de méthodes scandaleuses en présentant les chiffres de début 2023. Selon l’élu CGT au CE des papeteries Eric Pestourie pour France Bleu : « on sait que dans la Papeterie, les chiffres peuvent varier d’une année sur l’autre. On a fait une très bonne année 2022 et là, on nous sort les chiffres de début 2023 ».
Patricia Canto, technicienne de maintenance, délégué FO et secrétaire CSE témoigne : « le groupe est un fonds de pension, ce qui les intéresse c’est l’argent et pas les hommes. Là, ils veulent délocaliser la production en Espagne et en Italie. Ça ne met pas en danger que l’usine, mais les sous-traitants, les commerçants, les artisans, tous le bassins de vie. Quand on pose les questions sur la stratégie dans les autres entreprises du groupe en Espagne et en Italie, on ne nous répond pas ».
En réaction, le mercredi 12 juillet, un millier de personnes - employés, commerçants, élus et habitants - ont manifesté dans les rues du Lardin-Saint-Lazare (Dordogne) en scandant « Si l’usine ferme, le village meurt ! ». Patricia Canto qui travaille depuis 35 ans dans l’usine nous témoigne : « J’en ai connu des plan sociaux, mais pour celui-ci, les gens prennent plus conscience. Toute l’usine a manifesté son mécontentement, des ouvriers aux anciens directeurs en passant par les cadres ».
Et pour cause, à cheval sur les commune de Condat-sur-Vézère (882 habitants) et Le Lardin-Saint-Lazare (1 672 habitants), cette usine est depuis sa création en 1907, un fleuron de l’industrie locale. Avec l’arrivée en 1962 d’une deuxième machine permettant, elle, la fabrication de papier couché, l’usine a multiplié son nombre d’employés par deux, passant à un millier de salariés et devenant dès lors, le premier employeur privé de la Dordogne. C’est cette machine, la ligne 4, qui est aujourd’hui menacée.
Dans les villes et villages aux alentours, le travail aux « papettes » concerne parfois plusieurs générations. Frédéric, ouvrier à la papeterie, revient pour Sud-Ouest sur cette période : « Avant ça embauchait à tour de bras […] Mon grand-père a été viré en 1936 pour avoir fait la grève. Il a été rembauché après la guerre. On a construit notre vie ici. Je ne sais pas ce qu’on deviendra si on perd notre travail ».
Mme Canto rajoute : « C’est une tragédie si l’usine vient à fermer. Un plan social ça laisse toujours des cicatrices, tant pour ceux qui partent que pour ceux qui restent. Nous sommes très en colère car nous, on pense qu’on pourrait faire du papier sur le site. On cherche comment garder la machine, les salariés en fabricant d’autres types de papiers ». La détresse provoqué par l’annonce de cette fermeture a poussé un cuisinier au suicide dans la nuit du 27 au 28 juin. Père de famille et cuisinier employé par une entreprise sous-traitante pour les papeteries, son emploi était directement menacé par la fermeture.
Au micro de France 3 Périgord, Eric Pestourie, élu CGT, témoigne suite au suicide de son collègue : « C’est une conséquence que l’on craignais. C’est le scénario catastrophe car on est jamais à l’abris du début d’une série. C’est humainement très compliqué pour nous d’en discuter avec la direction. Déjà on est fortement opposé à ce PSE (plan de sauvegarde de l’emploi), maintenant on doit assimiler le fait qu’un de nos collègue salarié a mis fin à ses jours. Je ne sais pas s’ils n’ont pas de scrupule ou pas eux. Nous on le dis depuis toujours : eux ils voient les chiffres, nous on voit l’homme, et nos collègues ».
Le plus grand sauvetage industriel en Nouvelle-Aquitaine transformé en catastrophe sociale
Mais ce ne sont pas les premiers licenciements dans l’usine. Racheté par le groupe espagnol Lecta en 1998, l’usine subit de plein fouet la crise économique de 2008 avec la suppression d’une centaine d’emplois par le groupe dont les services supports avec la recherche.
En 2013, les patrons réitèrent l’opération en supprimant la ligne 6 et ses 144 salariés. Devant la chute de la production, l’Etat et la région octroient une aide de 33 millions d’euros au groupe en 2019. Sur cette aide, 14 millions ont été octroyé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie pour construire une nouvelle chaudière. Les 19 millions d’euros restant sont un prêt sans intérêt de la part de la région Nouvelle-Aquitaine. Selon Alain Rousset, président PS du conseil régionale, il s’agit du « plus grand plan de sauvetage industriel en Nouvelle-Aquitaine ».
Cette manne d’argent public considérable a été utilisé par le groupe pour licencier massivement comme il l’avait annoncé à demi-mot quand, en 2019, il assurait qu’il ne licencierai pas d’un coup les 400 salariés de l’usine.
Pour en finir avec la casse sociale, nationaliser sans rachat et mettre sous contrôle des travailleurs les entreprises
Après avoir encaissé l’argent public, et annoncé la suppression de la moitié des emplois de l’usine, poussant un salarié au suicide, le groupe Lecta met en péril des centaines de familles du bassins industriels périgordins. Plus largement, cette casse sociale financé par de l’argent public et qui dure depuis bien trop longtemps, fait écho à d’autres situations similaire.
C’est le cas pour le sous traitant aéronautique Latécoère qui délocalise une partie de son activité, notamment l’usine de Montredon installée depuis cinq ans, et menace de supprimer 150 emplois. Ou bien le cas des AHG Médical qui ferme ses portes après 3 ans d’existence et l’encaissement de 8 millions d’euros d’argent public.
Là encore, le projet industriel a été financée en grande partie par de l’argent public. Face à ces scandales, il n’y a aucun compromis à faire. Seule l’interdiction des licenciements, la nationalisation sans indemnités ni rachat des entreprises et leur mise sous contrôle des salariés peut éviter le carnage social et maintenir une production nécessaire pour répondre à la demande qui est bien présente.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE