« La grève, il faut en user sans en abuser », glisse un syndicaliste. Avant même son achèvement, la Tour fut un terrain de luttes sociales. Lors de l’inauguration du premier étage, Gustave Eiffel offre un banquet à « ses » ouvriers. « Je leur annonçai que je prenais à ma charge la retenue de 3 % qui, jusqu’alors, leur avait été faite sur leurs salaires pour payer l’assurance, en cas d’accident », écrit-il en 1890 dans « la Tour de 300 mètres ». D’abord accueillie « avec empressement », sa proposition est jugée insuffisante. « À partir du premier étage, ils manifestèrent à plusieurs reprises le désir d’une augmentation des prix de journée. »
Le 19 septembre 1888, c’est la grève. La première. Les négociations durent trois jours. Eiffel doit céder. « Il fut convenu que le prix de l’heure de chaque catégorie d’ouvriers serait, à partir de fin août, augmenté progressivement de 0,05 franc pour chaque mois jusqu’à concurrence de 0,20 franc comme maximum. » Le travail reprend. Le 20 décembre, alors que le deuxième étage vient d’être construit, nouvel arrêt de travail. Gustave Eiffel tient bon. « J’estimai, à ce moment que, si je faisais une concession nouvelle, j’entrerais dans une voie pleine de périls. » Il promet néanmoins une gratification de 100 francs « à tous les monteurs qui continueront le travail jusqu’à la pose du drapeau ». Tout rentre dans l’ordre. La Tour est achevée. Eiffel rend hommage à ses ouvriers « qui ont déployé pendant tout le cours du travail des qualités exceptionnelles d’énergie et d’endurance aux intempéries ». Ils se révéleront, au fil du temps, de redoutables négociateurs.
La bagarre de 1988 où « les salaires ont été multipliés par deux »
« Quand on ferme la tour Eiffel, quinze minutes plus tard, les médias sont là, sourit un syndicaliste. Ça donne du poids à nos revendications. » Jusqu’en 2006, la tour Eiffel obéit aux règles d’une société privée. Ses salariés, échappant au préavis de cinq jours – obligatoire dans le secteur public –, peuvent se mettre en grève du jour au lendemain. « C’est simple, se souvient un vieux cégétiste. On fermait le lundi, ça durait une semaine, et le vendredi, on obtenait gain de cause. La direction voulait à tout prix sauver le week-end. »
Il évoque la bagarre de 1988. « La tour Eiffel lève le pied », peut-on lire sur de vieilles affiches syndicales, précieusement conservées dans un dossier. Les agents d’accueil, sous-payés, réclament alors que leurs primes soient intégrées à leur salaire. La direction leur tient tête quelques jours, puis cède. « Les salaires ont été multipliés par deux. »
Principaux représentants des salariés de la Tour, CGT et FO sont systématiquement solidaires. « À une exception près, on a toujours fait front commun », dit l’un d’eux. Et ça marche. « On a toujours gagné. » Un lundi de 1994, les visiteurs trouvent ainsi porte close. « On réclamait une hausse de 4 francs de l’heure pour tout le monde. » Le vendredi, après une semaine de bras de fer, ils obtiennent gain de cause. « D’un seul coup, ça faisait une belle augmentation. »