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France Travail : une réforme du chômage XXL pour tirer les salaires vers le bas
Dans une note, la CGT tire la sonnette d’alarme face aux mesures de la loi « plein emploi » qui vont accroitre la pression sur les chômeurs pour les pousser dans des emplois mal rémunérés et avec des conditions de travail dégradées.
Dans un document daté du 5 février et diffusé en ligne, la CGT décortique la loi « plein emploi » du 18 décembre dernier. Allant plus loin que les réformes de l’assurance chômage de ces dernières années, ce texte constitue une offensive globale contre tous les privés d’emploi : demandeurs d’emploi inscrits à l’ancien Pôle Emploi, mais aussi allocataires du RSA, jeunes accompagnés par les missions locales, ainsi que les bénéficiaires de l’allocation adultes handicapé (AAH) et certains publics inscrits auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
Une réforme de grande ampleur sur laquelle le gouvernement n’hésite pas à déjà surenchérir avec de nouvelles annonces, telles que la suppression de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) ou une énième réforme de l’assurance chômage en 2024, soit la 6ème réforme en la matière en 7 ans.
Généralisation de la surveillance des allocataires
La confédération insiste sur le périmètre très extensif de la loi, qui loin de se contenter des « demandeurs d’emploi », cherche à pousser à tout prix vers l’emploi un public très large composé de toutes personnes que le gouvernement considère insuffisamment productives. En transformant Pôle Emploi en France Travail, organisme placé au cœur du nouveau « Réseau pour l’emploi » qui regroupe également les missions locales, Cap Emploi pour les personnes handicapées, les départements qui versent le RSA et plus largement tous les institutions en contact avec des populations qui ne travaillent pas ou peu, le gouvernement généralise et approfondit les méthodes de mise au pas et de surveillance élaborées depuis plusieurs années pour les inscrits à Pôle Emploi, les bénéficiaires du RSA et les jeunes suivis par une mission locale.
A compter du 1er janvier 2025, toutes les personnes concernées devront signer un « contrat d’engagement » qui fixera leurs obligations en matière de formation ou de stages ». Pour les demandeurs d’emploi indemnisés et les allocataires du RSA, les actions de formation, de stage ou d’activité du « contrat d’engagement » devront atteindre le niveau d’au moins 15 heures hebdomadaires. En cas de violation de cette obligation, l’allocataire pourra être sanctionné. Le montant et la durée des sanctions doit encore être précisé par décret, mais dans tous les cas, la suspension même temporaire ou partielle d’une allocation déjà peu élevée aura nécessairement des conséquences désastreuses sur des populations par définition précaires.
Au-delà de la possibilité de sanctionner, la centralisation de tous les allocataires au sein d’un « Réseau pour l’emploi » unique permet d’inscrire la fixation du contenu des contrats d’engagement (à quelles formations et quels stages, y compris éloignés de ses aspirations, contraindre l’allocataire à participer) au sein d’une politique nationale dictée par les besoins du patronat.
Des dispositifs « handicap » pour protéger les intérêts du patronat plutôt que préserver la santé
La note de la CGT pointe également les mesures scandaleuses de la loi « plein emploi » en matière de handicap. Loin de prendre en compte les besoins des personnes handicapées ou malades, les nouvelles mesures œuvrent dans le sens d’un recours accru aux contrats et aux statuts d’exception qui organisent déjà aujourd’hui l’exploitation des personnes handicapées.
Ainsi, la loi nouvelle prévoit l’octroi automatique du statut de « travailleur handicapé » à tous les bénéficiaires d’une pension d’invalidé ou d’une rente d’incapacité d’origine professionnelle encore aux allocataires de l’AAH, alors qu’aujourd’hui la « reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé » (RQTH) requiert une démarche spécifique auprès de la MDPH. France Travail sera mis automatiquement au courant de l’octroi automatique de ce statut, ce qui facilitera l’orientation de ces personnes vers des emplois « adaptés », c’est-à-dire avec des contrats ou au sein de structures d’exception aux conditions d’emploi et de salaire dégradées.
Les « CDD Tremplin » pouvant durer jusqu’à deux ans pourront par exemple leur être proposés et compter comme un des deux refus d’offre d’emploi entraînant la sanction d’un demandeur d’emploi indemnisé. Certains allocataires pourraient enfin être orientés vers les ESAT (établissements et services d’aide par le travail), qui ne sont pas des entreprises mais des établissements médico-sociaux, dont la « prise en charge » consiste à mettre au travail leurs « usagers » en situation de handicap pour une rémunération comprise entre 55 % et 110 % du SMIC.
Loi « plein emploi » : une étape dans une vaste réforme néo-libérale de l’emploi
La centrale syndicale rappelle enfin que la loi « plein emploi » intervient après de multiples réformes de l’assurance chômage depuis 2017, qui ont réduit le montant et la durée de l’indemnisation par Pôle Emploi, renforcé le contrôle et les sanctions des demandeurs d’emploi, supprimé l’indemnisation en cas d’abandon de poste ou en cas de deux refus de CDI par un salarié en CDD, etc. Ces réformes successives constituent un tout cohérent, une réforme prolongée et continue du marché de l’emploi, qui vise à la fois à faire des économies sur les montants des allocations versées en réduisant les possibilités d’en bénéficier et en multipliant les cas de suspension, tout en poussant les allocataires à accepter n’importe quel emploi, quelles que soit la rémunération ou les conditions de travail.
Cette politique constitue donc un double cadeau pour le patronat : d’une part en contenant les dépenses de l’assurance chômage, financée exclusivement par les employeurs depuis la suppression de la cotisation salariale en 2018, et d’autre part en contraignant les travailleurs privés d’emploi à tout accepter, d’abord pour obtenir un emploi puis pour le conserver.
Les réformes menées par Macron en matière d’emploi depuis 2017 rappellent de façon frappante les lois Hartz, adoptées en Allemagne entre 2003 et 2005 sous la chancellerie du social-démocrate Gerhard Schröder et inspiré par le DRH de Volkswagen, Peter Hartz. « Contrat d’insertion » définissant les devoirs du demandeur d’emploi, durcissement des conditions d’indemnisation, fusion de l’allocation aux chômeurs en fin de droits (comme l’ASS en France) et de l’aide sociale (comparable au RSA), jobs à 1€ obligatoires pour les allocataires : la source d’inspiration de Macron ne fait aucun doute. Or, en Allemagne comme en France, ces politiques ont les mêmes effets : précariser toujours plus les travailleurs privés d’emplois et créer une population toujours plus importante de travailleurs pauvres. L’OIT a ainsi constaté une « déflation salariale », c’est-à-dire une baisse des salaires, à la suite de l’entrée en vigueur des lois Hartz. Alors qu’actuellement en France, plus de 17 % des salariés sont au SMIC et que les salaires réels reculent à cause de l’inflation, les réformes du marché de l’emploi ne peuvent que renforcer ce processus.
C’est pourquoi l’opposition à ces réformes de précarisation du marché de l’emploi est étroitement liée à la lutte pour l’augmentation des salaires et de leur indexation sur l’inflation. La défense des salaires ne peut pas s’arrêter à la porte des entreprises et doit aller de pair avec la revendication de la répartition du temps de travail entre tous et toutes, pour en finir avec le chômage qui livre des couches entières de notre classe à la pauvreté et est utilisé chaque jour par le patronat pour faire pression sur les travailleurs en poste.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE