« Syndicats-maison » : le projet du RN pour s’attaquer aux syndicats combatifs dans les entreprises
Le Rassemblement National vient de dévoiler son programme économique. Écrit pour séduire les grands patrons, il propose notamment de s’attaquer aux droits syndicaux par la promotion de « syndicats-maison ».
Au cœur de la crise politique, le Rassemblement National poursuit sa quête de crédibilité auprès du patronat et des investisseurs. Le député de la Somme Jean-Philippe Tanguy présentait le week-end dernier le programme économique du parti, dévoilant un peu plus l’opposition de façade du parti de Marine Le Pen. En effet, cette nouvelle orientation stratégique du RN a ouvertement vocation à séduire les milieux patronaux et s’inspire, dans la continuité des législatives, de plus en plus de la politique de l’offre d’Emmanuel Macron.
L’une de ces mesures pro-patronales est la volonté de « faciliter la création de nouveaux syndicats » au nom de la « [recréation] des conditions d’une véritable liberté syndicale ». Lors de sa présentation, Jean-Philippe Tanguy expliquait à ce sujet que ces réformes favoriseraient la création de « syndicats-maison » et soutiendraient la « productivité des entreprises », tout en luttant contre la « politisation des syndicats représentatifs ». En clair, une offensive ouverte contre le monde du travail.
Il apparaît clairement en effet que les intentions (pour l’heure très floues) du RN sont de priver les travailleurs d’un moyen de s’organiser concrètement en créant des organisations soumises aux patrons et dépossédées de leurs capacités de lutte. En ce sens, il n’est pas surprenant de voir qu’une organisation patronale telle que la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) soutient ouvertement ces mesures. Pour cause : avec la création de ces « syndicats-maison », le RN entend développer des organisations au sein desquelles pourraient coexister patrons et travailleurs et qui rouleraient évidemment pour les premiers.
Dans le même sens, le RN pourrait reprendre à son compte un de ses mots d’ordre programmatique historique : la nécessité de restreindre l’activité des syndicalistes à leur lieu de travail, entravant ainsi toute tentative de jonction des luttes des travailleurs entre les différents corps de métiers et même entre les différentes entreprises. Plutôt que d’être un contre-pouvoir, les « syndicats-maison » du RN et les diverses mesures anti-syndicales qu’il propose (réduction des moyens financiers, baisse du seuil de représentativité…) souhaiteraient finalement ouvrir la voie à un syndicalisme corporatiste de cogestion des entreprises, soumis au patronat. Pratique alors que le RN candidate au pouvoir pour appliquer les attaques austéritaires à la place de Macron.
Un programme qui pourrait ne pas être sans contradictions comme le souligne Gaëtan Gracia, militant à Révolution Permanente et à la CGT Ateliers Haute-Garonne, « la baisse du seuil de représentativité peut aussi conduire à la création de syndicats locaux plus à gauche, comme ça a été le cas avec RS-RATP en 2014, qui avait été créé par des militants syndicaux qui ne se retrouvaient plus dans les syndicats représentatifs ».
Quoi qu’il en soit le « syndicat-maison » du RN a bien l’intention de remplacer un outil qui permet aux travailleurs de s’organiser en tant que classe, en tant que travailleurs peu importe leur secteur d’activités pour lutter collectivement contre le patronat et le gouvernement. Pour Gaëtan Gracia, ce corporatisme défendu par le RN constituerait une « rupture franche avec le syndicalisme historique français et menacerait par exemple la CGT ». L’avènement de ce type de syndicat évoque en ce sens « ce qui pouvait exister dans les années 70 dans l’industrie automobile, où la Confédération des syndicats libres (CSL, organisation formée par d’anciens collabos et/ou des barbouzes coloniales) formait des vrais syndicats maison tels que le RN les imaginent, c’est-à-dire la voix et les bras du patron, anti-grève et anti-syndical ».
Sans surprise, ces attaques contre le droit syndical vont de pair avec un discours anti-grève caractéristique de l’extrême droite. En 2010, Marine Le Pen appelait les opposants à la retraite à 62 ans des « gréviculteurs » ou des « émeutiers ». Plus récemment, en 2018, Louis Aliot, alors vice-président du parti, se positionnait « contre la grève », qu’il considérait comme un « moyen d’action archaïque ». Même son de cloche pendant la mobilisation contre la réforme des retraites de 2023, durant laquelle Marine Le Pen appelait le gouvernement à faire cesser les « blocages » des raffineurs et des éboueurs, pendant que plusieurs députés RN condamnaient la grève des contrôleurs aériens qui se mobilisaient hors du calendrier syndical.
Ces ambitions dessinent cependant une continuité avec bon nombre des politiques menées par le gouvernement Macron et ceux qui l’ont précédé. « C’est la logique de la bourgeoisie française depuis un moment de réfléchir aux moyens d’affaiblir les centrales syndicales, poursuit Gaëtan Gracia, c’était le cas avec les CE à la proportionnelle par exemple, ou avec la loi de 2008 qui était aussi une tentative d’éparpiller et de casser les syndicats les plus combatifs comme la CGT, bien que ça n’ait pas vraiment fonctionné. » De fait, les propositions du RN sont en un sens un prolongement plus radical des attaques anti-syndicales qu’a subi le mouvement ouvrier ces dernières décennies, et qui pourraient encore accentuer le recentrage déjà bien engagé du syndicalisme sur le dialogue social au sein de l’entreprise, la distanciation entre les grandes centrales syndicales et le champ politique et en toile de fond l’affaiblissement de la force de frappe des travailleurs.
Dans sa campagne de légitimation auprès des milieux patronaux, le RN continue de révéler son visage anti-social, dont le versant anti-syndical n’est qu’un exemple. Si le parti d’extrême droite continue de surjouer l’opposition au gouvernement, les gages donnés au patronat et les reculs déjà effectués sur leurs positions pseudo-sociales montrent bien que Le Pen et le RN ne constituent en rien une rupture avec Macron. Le parti d’extrême droite apparaît pour ce qu’il est : un ennemi historique des travailleurs.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE