Le PDG d’Unilever reçoit un méga bonus pour sa contribution au « développement durable »
Qui a dit que le développement durable était incompatible avec le profit ? Le patron de la multinationale de l’agroalimentaire Unilever, Paul Polman, vient de se voir octroyer, pour la première fois en 2013, une prime complémentaire de 508 458 euros. Une prime censée récompenser sa contribution à la « performance » du groupe en termes de « développement durable ». Apparemment, le conseil d’administration a estimé que ses 1,18 million d’euros de salaire, ses 700 000 euros d’avantages divers, ses 1,3 million d’euros de bonus « normal » et ses presque 4 millions d’euros de rémunération en actions – presque 8 millions d’euros au total ! – n’étaient pas à la hauteur pour le remercier comme il se devait de sa dévotion à la construction d’un avenir plus radieux pour l’humanité [1].
Ces dernières années, sous l’impulsion de Paul Polman, chantre du « capitalisme responsable » [2], Unilever s’est fait une réputation enviable dans le petit monde de la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) et du « développement durable ». Le Sustainable Living Plan (« Plan pour un mode de vie durable ») mis en place par le groupe anglo-néerlandais vise à diviser par deux l’empreinte environnementale du groupe et assurer des chaînes d’approvisionnement durables pour toutes ses matières premières clé, tout en continuant à gagner en parts de marché et en profitabilité.
Une conception de la responsabilité sociale pleine de trous
En termes d’image, les résultats sont là, puisqu’Unilever accumule désormais les certifications vertes ou éthiques. Elle figure régulièrement en tête des enquêtes d’opinion réalisées parmi les spécialistes du développement durable. Elle a aussi multiplié les partenariats avec les ONG, notamment Oxfam Royaume-Uni.
Mais sous couvert d’« intégrer les objectifs sociaux et environnementaux dans la stratégie d’ensemble d’Unilever », il s’agit surtout semble-t-il d’introduire une optique commerciale dans la gestion des problèmes de pauvreté et de dégradation de l’environnement. Les grandes causes sociétales défendues par Unilever sont ainsi solidement arrimées à la promotion de ses marques : l’hygiène et la lutte contre les maladies bactériennes en Afrique avec le savon LifeBuoy, la santé des femmes avec Dove, le changement climatique avec Ben & Jerry’s, la protection des forêts avec Lipton… Comme le dit Paul Polman, « les marques ont un rôle important à jouer » [3]… Sous prétexte de se concentrer sur les besoins des pauvres, notamment dans les pays émergents, il s’agit surtout de les accompagner vers le consumérisme.
Quant aux objectifs de réduction de la déforestation liée aux plantations d’huile de palme, qui sont au cœur de l’ambition environnementale du groupe [4], ils consistent essentiellement, jusqu’à présent, à racheter des certificats « verts » (certificats dits Greenpalm) à des producteurs labellisés par la « Table-ronde pour l’huile de palme durable » (RSPO) selon l’acronyme anglais. C’est-à-dire à payer de l’argent à des producteurs plus responsables pour pouvoir continuer à s’approvisionner comme d’habitude, tout en bénéficiant d’un label vert – un mécanisme assez similaire à celui des marchés carbone [5].
Quand la responsabilité sociale s’arrête à la porte des usines
Quant aux travailleurs d’Unilever eux-mêmes, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils brillent par leur absence dans cette vision de l’« entreprise durable ». Le Sustainable Living Plan n’inclut aucun objectif concernant les inégalités salariales. Ou la préservation de l’emploi et le traitement décent des salariés. En France, les salariés de l’entreprise Fralib en ont fait les frais. Le groupe Unilever a décidé en 2010 de fermer leur usine, au motif qu’elle ne serait plus assez compétitive. En réalité, selon les experts mandatés par les élus locaux, l’activité serait parfaitement viable si le groupe ne l’avait pas siphonnée financièrement pour en transférer les revenus en Suisse, et redistribuer ensuite aux actionnaires des milliards d’euros de dividendes [6].
Les anciens salariés de Fralib souhaitent poursuivre l’activité de production de thés et de tisanes (de marque Éléphant) sous la forme d’une coopérative, en utilisant des produits locaux. Mais ce n’est visiblement pas la conception du développement durable d’Unilever, qui refuse de leur céder la marque.
Le groupe Unilever s’est également retrouvé plusieurs fois sous le feu des critiques pour ses pratiques fiscales – en 2011, plus du quart de ses filiales étaient localisées dans des paradis fiscaux [7], et Paul Polman, « durabilité » ou pas, n’a pas hésité à menacer le gouvernement britannique de quitter le pays s’il ne baissait pas les taux d’imposition. C’est pourquoi Unilever est l’une des trois multinationales ciblées [8] par la campagne « Requins » lancée cette année par Attac. L’association appelle, en soutien aux Fralib, à boycotter les marques détenues par Unilever (Lipton, Sun, Omo, Maille, Amora, Cif, Knorr...) pour « libérer l’éléphant ». Le 15 mars aura lieu une première journée d’action dans toute la France (voir la carte des actions ici).
Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales