La concentration des richesses et l'aggravation des inégalités par le "capitalisme de rentiers" font partie des thématiques qui seront abordées au Forum économique mondial de Davos 2018 à partir de mardi. L'association internationale Oxfam, connue pour ses travaux et ses coups d'éclat contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux, profite du bruit médiatique entourant le sommet de la station suisse, qui réunit les grands décideurs du monde politique et économique, pour rendre public son rapport sur les inégalités.
(Un graphique de notre partenaire Statista)
S'appuyant sur des témoignages et divers travaux, dont l'étude annuelle de Credit Suisse sur les grandes fortunes, l'ONG compile une série de chiffres affolants dans son rapport intitulé "Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent."
« Le nombre de milliardaires a connu l'année dernière sa plus forte hausse de l'histoire, avec un nouveau milliardaire tous les deux jours. On dénombre actuellement 2.043 milliardaires en dollars dans le monde. Neuf sur dix sont des hommes », relève l'ONG.
Système économique défaillant
Tout en reconnaissant que « entre 1990 et 2010, le nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté (à savoir avec moins de 1,90 dollar par jour) a été divisé par deux » et qu'il continue de diminuer, Oxfam considère que faute d'action, « la crise des inégalités continue d'empirer » :
« En 12 mois, les richesses de ce groupe d'élite ont augmenté de 762 milliards de dollars, soit plus de sept fois le montant qui permettrait de mettre fin à la pauvreté extrême dans le monde. 82% de la croissance des richesses créées dans le monde l'année dernière ont profité aux 1% les plus riches, alors que la situation n'a pas évolué pour les 50% les plus pauvres. »
Sur plus longue période, au cours des dix dernières années, « les travailleurs et travailleuses ordinaires » ont vu leurs revenus augmenter de 2% en moyenne par an, tandis que la fortune des milliardaires a crû de 12% par an, soit presque six fois plus vite, pointe l'ONG.
« Ces chiffres vertigineux démontrent que le boom des milliardaires n'est pas le signe d'une économie florissante, mais d'abord le symptôme d'un système économique défaillant qui enferme les plus vulnérables dans la pauvreté et porte aussi atteinte à la prospérité économique de toutes et tous, comme le reconnaissent de plus en plus d'institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) ou l'OCDE » plaide Manon Aubry, porte-parole d'Oxfam.
La France de Macron, plus inégalitaire ?
L'ONG consacre un chapitre à la France qui « n'échappe pas à la crise des inégalités » et où « le fossé entre riches et pauvres atteint des sommets », même s'il est moins marqué qu'au niveau mondial. Elle relève ainsi que « en 20 ans, la fortune totale des dix plus grandes fortunes françaises a été multipliée par 12, pendant que le nombre de pauvres augmentait de 1,2 millions de personnes. »
« En 2017, les 10% les plus riches détiennent plus de la moitié des richesses alors que les 50% les plus pauvres se partagent à peine 5% du gâteau. Les 1% les plus riches en sortent particulièrement gagnants: ils possèdent à eux seuls 22% des richesses en 2017 alors qu'ils n'en possédaient que 17% en 2007.
Au sommet de la pyramide, la richesse des milliardaires français a été multipliée par trois en 10 ans et seuls 32 milliardaires français possèdent désormais autant que les 40 % les plus pauvres de la population française. »
[Part des richesses en fonction du niveau de vie en France en 2017. En bleu : part de la richesse nationale par décile, en orange : 1% les plus riches. Crédits : Oxfam]
Alors que le président français tient son sommet "pré-Davos" au Château de Versailles avec une centaine de grands patrons du monde entier, Oxfam lance une pétition, baptisée "Loi inégalités", de soutien à ses propositions de mesures qu'elle demande à Emmanuel Macron d'adopter afin de faire de la France « un pays pionnier dans la lutte contre les inégalités et de donner forme à une économie plus humaine, inclusive et responsable. »
Cette loi contre les inégalités comporterait notamment des dispositions limitant le versement des dividendes et les écarts démesurés de rémunérations (un maximum de 20 fois le salaire médian de l'entreprise), garantissant un salaire décent aux employés tout au long de la chaîne de production (y compris dans le textile). S'y ajouteraient des mesures de lutte contre l'évasion fiscale et de redistribution fiscale afin de « privilégier les impôts dont sont surtout redevables les plus riches, tels que l'impôt sur la fortune plutôt que des impôts injustes comme la TVA. »
Des mesures allant à rebours de la récente réforme fiscale qui a supprimé l'impôt de solidarité sur la fortune et « profitera essentiellement aux plus aisés comme Oxfam l'a révélé dans un rapport en septembre 2017 », analyse confortée par un récent rapport de l'OFCE.
Publié par latribune.fr