Crédits photo : Denis CHARLET/AFP
Hier matin, à l’issue d’une réunion entre des élus, les syndicats et la direction de Bridgestone, la multinationale a confirmé sa volonté de fermer son site de Béthune. Une décision annoncée par Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie en charge du dossier.
Le 16 septembre dernier, le fabricant de pneus Bridgestone, numéro un mondial de son secteur et ses 27 milliards de chiffre d’affaires l’année dernière, annonçait brutalement la fermeture de son site et la cessation de toute activité, laissant sur le carreau les 863 salariés. Le gouvernement s’était alors offusqué de l’annonce et avait saisi l’occasion pour affirmer qu’il trouverait une solution. Le comble de l’hypocrisie pour un gouvernement qui n’a cessé de promouvoir des lois facilitant les licenciements. Malgré tout, ce discours a convaincu les directions syndicales qui s’en sont rendus au gouvernement et aux élus en privilégiant le dialogue social à la construction d’un vrai plan de bataille contre la fermeture. La décision de Bridgestone dévoile la trahison que constituait cette stratégie et le caractère mensonger des promesses du gouvernement.
La fermeture de Bridgestone, le gouvernement complice !
Cette issue était malheureusement loin d’être inattendue. Les dernières fois où le gouvernement s’est positionné en sauveur, les résultats ont été les mêmes. On peut par exemple citer Whirlpool, où les mêmes dirigeants étaient venus faire de belles promesses en 2017 pour un projet de reprise bidon qui a finalement condamné les ouvriers au chômage en leur enlevant la possibilité de lutter.
Suite à l’annonce de la fermeture, Agnès Pannier-Runnachier avait tenté de proposer un « plan alternatif » au groupe japonais. Après avoir fait réaliser une contre-expertise par le cabinet Accenture, l’État tablait d’abord sur la sauvegarde de la moitié des emplois et un investissement de 100 millions d’euros. Il s’agissait alors de « s’attaque aux deux aspects critiques du site : son déficit de productivité, conséquence de dix ans de sous-investissement ; et le positionnement sur un marché (les pneus de petite taille) en perte de vitesse » selon le cabinet de la ministre.
Mais même ce plan au rabais n’était évidemment qu’un leurre. Les maigres promesses du gouvernement étaient vaines, et Bridgestone ne cachait d’ailleurs pas sa détermination à fermer. Si les directions syndicales se disaient inquiètes de la tournure des évènements, elles ont malgré tout laissé le gouvernement aux manettes. Résultat, l’usine va fermer.
Bridgestone cherche depuis des années à fermer son usine mettant en avant la compétitivité alors même que cela fait des années que le groupe n’a pas investi sur le site. Dans un communiqué le groupe expliquait fin septembre que la fermeture est « la seule option qui permettait de répondre à la surcapacité de production structurelle de Bridgestone, et donc de sauvegarder la compétitivité de ses opérations en Europe ». Pourtant malgré le Covid, Bridgestone prévoit un bénéfice opérationnel de 150 milliards de yens. S’ils tablent sur une perte nette annuelle de 60 milliards de yens (485 millions d’euros), celui-ci est à rapporter au bénéfice de 240 milliards de yens en 2019, et au fait que le groupe va quand même verser des dividendes à ses actionnaires.
Ce dénouement provisoire malheureux montre une nouvelle fois le danger de faire confiance aux promesses du gouvernement ou de Xavier Bertrand. Les directions syndicales qui ont fait le jeu du dialogue social portent également une grande responsabilité dans la situation.
La stratégie perdante des directions syndicales
Depuis le départ, les syndicats ont choisi le dialogue social à tout prix, et ont préféré laisser le destin des salariés entre les mains de l’État plutôt que d’imposer un rapport de force à la hauteur de l’enjeu. Un choix qui s’est traduit par la signature de l’accord de méthode, puis par la manifestation silencieuse du 4 octobre qui semblait viser avant tout à ne pas effrayer les élus...
Un choix de la passivité et du dialogue qui constitue une véritable trahison mais qu’assument les syndicats de Bridgestone. « Nous y avons cru, raison pour laquelle le site est restée admirablement calme pendant 2 mois, le gouvernement nous a apporté un projet, on l’a mis sur la table, on l’a regardé, on était prêt à l’accepter, il y avait des solutions cela tenait la route et Bridgestone l’ont balayé en 5 minutes. » expliquait hier Denis Drouet, responsable CGT Bridgestone.
Pire ! Malgré l’issue dramatique de cette stratégie, l’intersyndicale persiste et signe.
« Face au refus cynique de Bridgestone, nous attendons un soutien sans faille des pouvoirs publics pour appuyer nos revendications et permettre la mise en place d’un plan social ambitieux donnant aux salariés le temps et les moyens de retrouver un emploi et d’être indemnisés à la hauteur du préjudice subi » peut-on ainsi lire dans le dernier communiqué intersyndical, actant d’un refus de lutter et d’une volonté de négocier quelques miettes dans le cadre du plan social. Mais les indemnités, aussi importantes soient-elles, souvent n’assurent que des revenus à moyen-terme. Il suffit de regarder la situation des Conti des années après leur lutte héroïque, et de se rappeler que la crise à venir s’annonce encore plus profonde que celle de 2008 pour voir que grapiller quelques milliers d’euros ne permettra pas d’assurer un avenir digne aux 863 salariés.
Alors que Bridgestone a réaffirmé sa volonté de fermer le site, il serait à l’inverse encore possible de prendre le chemin de la lutte. Cela impliquerait pour les salariés de s’organiser collectivement en assemblée générale réunissant syndiqués et non-syndiqués autour d’un seul mot d’ordre, non à la fermeture, pas un seul emploi en moins ! Une revendication qui ne pourrait être obtenue que par les méthodes de la lutte de classe. La grève, l’occupation de l’usine...
Le site de Béthune pourrai être le symbole de la résistance ouvrière, en arrachant une victoire qui changerait radicalement la situation politique. Pour ce faire, la question de l’occupation de l’usine et de la reprise en main de l’outil de travail doit être portée à la discussion par les salariés. Les machines de production ne doivent pas quitter l’usine. Si une usine ne peut pas tourner sans machine, elle peut tourner sans patron. Il faut également exiger l’ouverture des livres de compte de l’entreprise pour que les salariés puissent voir exactement la situation du site et du groupe.
Par ailleurs, la fermeture impactera toute la région, il faut donc un soutien indéfectible de la population locale mais aussi des autres secteurs en lutte car une lutte isolée ne peut pas s’inscrire dans la durée. Bridgestone n’attaque pas qu’en France. Un lien international peut être créé, car le groupe a décidé de fermer une usine en Afrique du Sud et 250 salariés vont se retrouver sur le carreau. Une riposte collective pourrait relancer une dynamique afin de stopper le patronat et le gouvernement qui profitent de la crise économique et sanitaire pour attaquer de toute part le prolétariat. Si les salariés de Béthune décident de passer à l’offensive ils pourront être la locomotive du contre-attaque qui pourrait être plus globale.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE