SOURCE / Initiative communiste
Entretien avec Olivier Mateu, secrétaire général de l’Union Départementale CGT des Bouches-du-Rhône : « il faut que nous arrêtions d’avoir peur de dire que c’est vers le socialisme que l’on doit all
« il faut que nous arrêtions d’avoir peur de dire que
c’est vers le socialisme que l’on doit aller. »
Suite et fin de nos entretiens exclusifs, après Emmanuel Lepine (FNIC-CGT) et Samuel Meegens (UD CGT du Nord), c’est Olivier Mateu, secrétaire général de l’Union Départementale des Bouches-du-Rhône, qui a accepté de répondre aux questions d’Initiative Communiste, journal mensuel du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF).(Propos recueillis le lundi 6 février 2023)
Initiative communiste : après les premières dates de mobilisation, quelle suite pour le mouvement ?
Olivier Mateu :
Le gouvernement ne lâchera pas tant qu’il n’aura pas la pression du patronat et de la finance internationale, qui lui diront de laisser tomber la réforme, parce que ça leur coutera plus cher que ce que ça ne va leur rapporter.
En 2019, nous avions appelé à la reconduction de la grève de toutes les formes possibles : de 24 heures en 24 heures ou des débrayages d’une heure tous les 3 jours, le tout en participant aux journées interprofessionnelles. De la sorte, on évite de tomber dans la grève par délégation et dans l’éternel débat sur ceux qui pourraient faire grève et ceux qui ne pourraient pas.
Comme les camarades des ports et docks, je regrette qu’il n’y ait jamais eu de bilan des grèves de 2016 et 2019, pour corriger ce qui n’a pas fonctionné. Notamment ceux qui ne font pas grève parce qu’ils considèrent que leurs grèves ne pèsent pas sur l’économie et le système. Or, nous pensons que chacun à quelque chose à amener dans le panier. Globalement, il n’y a que 2 professions qui ne peuvent pas faire grève sans reconductible totale : les raffineurs et les éboueurs. Toutes les autres professions peuvent partir sur un calendrier cadencé sans faire de reconductible totale, du type de celui des cheminots en 2018. Ainsi, on peut très bien bloquer l’économie. Mais cela ne peut se faire qu’en étant organisé, notamment au niveau confédérale. Il faut donc mettre en place un calendrier qui s’appuie sur les gros secteurs traditionnellement très mobilisés. Cela permet, d’une part, de donner confiance aux autres secteurs pour organiser la mobilisation (même si ça n’est que 1 heure tous les 3 jours) et d’autre part de donner la confiance aux travailleurs en lutte de ces secteurs clés qui ne sentent pas esseulés. Cette stratégie est à l’image de la cotisation syndicale : chacun met 1% de salaire, mais ca n’est pas le même montant pour tout le monde. Si on l’organisait comme cela on sortirait de la règle « des 3 tiers » : un tiers très mobilisé ; un tiers « un pied dedans, un pied dehors » et un tiers complètement à l’extérieur.
C’est ce que nous étions arrivés à faire en 2019, où l’on a vu des taux d’appels à la grève au niveau de mai 1968 et encore plus d’appel à la reconductible qu’en 1968. Mais ces reconductibles étaient pour certains secteurs de 24 heure et pour d’autres toutes les 72 heures, voir de 1 heure par jour plus les temps forts. Bref, il y avait toutes les formes, mais elles correspondaient à la nature des activités de chacun et aux capacités qu’avaient les organisations à entrainer les travailleurs. Tout cela a permis à tout le monde de mettre quelque chose dans le combat collectif. Nous sommes convaincus que c’est comme cela qu’il faudrait s’organiser. Mais cette stratégie nécessite d’être cadencée, organisée et coordonnée. Sans cela, c’est incantatoire d’appeler à la reconductible partout, tout autant que d’appeler à la grève générale, sans organiser ni l’une, ni l’autre.
Au niveau confédéral, aujourd’hui la CGT a un discours qui correspond à ce qu’elle est, à savoir le retrait du projet de retraite à 64 ans, y compris avec l’intersyndicale, mais la CGT porte également comme revendication la retraite à 60 ans. Mais nous ne sommes pas des adeptes du « syndicalisme rassemblé », qui vise à s’entendre sur le plus petit dénominateur commun. Nous préférons travailler sur l’unité à la base des travailleurs, qui créé naturellement l’unité syndicale avec toutes les organisations ou juste une partie, chacune étant dans l’obligation de se positionner. De ce point vu, la CGT maintient ses positions, elle n’est pas en dehors de l’intersyndicale et elle n’est pas pour rien dans l’unité syndicale. Mais pour nous, le primordial reste l’unité des travailleurs et c’est également à la base que ce fait le niveau d’exigence de l’intersyndicale.
Initiative communiste : Que penses-tu d’une manifestation nationale à Paris pour aider à construire « le tous ensemble en même temps » des syndicalistes de classes, des syndicats combatifs etc ?
Olivier Mateu :
Je ne suis pas certain que ce soit pertinent. Bien que je ne sois opposé à aucune forme de mobilisation : que ce soit une manif à Paris ou le samedi ou au flambeau, etc.
Mais ce qu’il faut c’est de la grève partout. Prendre les initiatives qui confortent les grévistes, qui aident à faire venir plus de monde dans la mobilisation. Mais les manifestations à Paris sont souvent le glas des mouvements interpro, ou dues à l’état des difficultés que nous aurions à gagner les grèves dans les boites. Or, nous n’en sommes pas encore là. Ce qu’il faut gagner c’est le blocage de l’économie. Nous insistons sur « l’économie » et pas le « blocage du pays », avec des gens qui ne seraient pas en grève et qui iraient en voir d’autres en leur expliquant qu’il faut qu’ils fassent grève.
Tout se joue quand nous pesons sur l’économie, et pour peser il faut organiser la grève de manière intelligente. Aujourd’hui plus aucune profession ne peut se dire « j’y vais toute seul ». Il faut donc s’appuyer sur les secteurs très mobilisés pour donner envie et, encore plus, de donner du courage aux autres de les rejoindre.
Il faut que les organisations syndicales et particulièrement la CGT, fassent preuve d’imagination en s’appuyant sur ses savoir-faire historiques. Il faut également s’appuyer sur la jeunesse, qui, contrairement à ce que nous disent les grands médias, sont parfaitement conscients des dangers qui pèsent sur notre système de retraite et qui veulent en hériter comme nous, nous en avons hérité. Autrement, ils auront une vieillesse de misère.
D’ailleurs, dans les faits cette réforme est faite pour blackrock et les fonds pensions. Ceux qui pourront, iront capitaliser, les autres seront au minimum et après avoir travaillé toute une vie, ils crèveront de faim… C’est d’ailleurs déjà le cas, puisqu’il y a chez nous plus de 10 millions de pauvres. On nous fait des menaces de pénuries, mais il y a déjà toute une partie de la population qui est en pénurie, mais cela on ne s’en occupe pas. Il est très choquant de voir la levée de bouclier contre les opérations « robin des bois » des gaziers et électriciens et du silence sur les coupures de courant contre les pauvres qui ne sont coupables que d’être pauvres.
Il faut donc que nous soyons offensifs et exigeant, parce que ce que nous allons chercher là, c’est ce qu’ils nous volent depuis des années.
En outre, il est intéressant de relever que ceux qui pleurent toute l’année sur le coût du travail, sont les mêmes qui pleurent quand les travailleurs sont en grève et ne sont donc pas payés, surtout dans un pays où le travail coute, soit disant, si cher. Maintenant, il y a une réalité qui est faite aux artisans et commerçants qui n’est pas celle des grands groupes et c’est là où c’est complètement injuste. Tout notre système productif et économique est à revoir. Si on voit autant de petite boite dans la galère c’est parce qu’on a laissé les grands groupes organiser la sous-traitance en 12 ou 13 niveaux, alors que les emplois étaient internalisés à l’époque. Ce système permet de faire jouer à fond la concurrence, là ou les premières préoccupations devraient être celles du résultat du travail effectué et la sécurité des travailleurs et des riverains, notamment au travers de la question environnementale. D’ailleurs, certains font comme-si la CGT ne s’était jamais occupée des questions écologiques. C’est faux : les premiers qui meurent des pollutions et de l’exposition aux produits maniés se sont les travailleurs. Il y a tout un système à repenser.
A ce titre, il faudra bien un jour que nous nous entendions sur le nom de la société que l’on veut créer à la place du capitalisme et je pense qu’il faut que nous arrêtions d’avoir peur de dire que c’est vers le socialisme que l’on doit aller. Un socialisme à la française, de plein pieds dans la réalité, porteur des valeurs internationalistes du mouvement ouvrier, dans un système qu’on se sera créé nous. Comme le disait Fidel Castro : la révolution c’est changer tout ce qui doit l’être sans jamais perdre l’objectif. Nous ne devons donc pas avoir peur du changement !