La ministre du travail du gouvernement Barnier, Astrid Panosyan-Bouvet, avait confié mercredi 9 octobre aux syndicats et aux organisations patronales la tâche de trouver 400 millions d’euros d’économies par an à réaliser sur l’assurance chômage pour une durée de 3 ans. L’accord, finalisé hier soir, prévoit finalement presque 2.5 milliards d’euros d’économies en 4 ans et 1.75 milliards supplémentaires chaque année à partir de 2028.
Dans le détail, la proposition sur laquelle se sont mis d’accord les organisations patronales et les syndicats se décompose en trois volets distincts.
Elle prévoit premièrement d’avaliser le recul de l’âge de départ à la retraite en repoussant l’âge plancher à partir duquel la durée d’indemnisation augmente. Ainsi, alors que jusqu’à présent les travailleurs sans emploi bénéficiaient à partir de leurs 53 ans d’une durée d’indemnisation allongée à 22.5 mois, ils devront désormais attendre d’avoir 55 ans. Dans le même sens, alors que les personnes âgées de 55 ans ou plus pouvaient bénéficier d’une allocation de 27 mois, celle-ci ne sera désormais plus ouverte qu’aux personnes ayant 57 ans ou plus, etc.
Deuxièmement, le projet prévoit de s’attaquer très durement aux travailleurs frontaliers, avec l’instauration d’un coefficient particulier permettant de baisser d’environ 40% le montant des allocations perçues par les demandeurs d’emplois ayant exercé leur précédent emploi à l’étranger. Dans le même ordre d’idée, le projet prévoit d’interdire à quiconque d’accepter un emploi dans un pays étranger après avoir refusé au moins deux propositions d’emploi en France, indépendamment de tout critère de pertinence ou de différence de salaire et quand bien même bon nombre de régions frontalières sont particulièrement touchées par la désindustrialisation et le chômage de masse, à l’instar de la région lilloise ou de la Lorraine.
Enfin, dans un troisième volet, le projet prévoit de revoir le calcul des allocations et de l’axer sur une base calendaire fixe de 30 jours par mois, ce qui reviendrait à retirer 5 jours par an d’allocations aux bénéficiaires de l’assurance chômage, et 6 lors des années bisextiles. Une mesure dont les recettes sont à elles-seules estimées à 240 millions par an pour l’Etat.
Les trois organisations patronales présentes, le Medef, la CPME et l’U2P, se sont dits satisfaites du texte, tandis que les organisations syndicales ne l’ont pas encore signée, mais la CFDT et la CFTC se disent favorables à l’accord, ayant grandement participé à son élaboration. De son côté, FO a annoncé vouloir réfléchir en interne à apposer ou non sa signature séparément pour chacun des trois volets du projet, quand bien même la centrale syndicale a elle aussi largement participé aux négociations de ces trois dernières semaines. Quant à elle, la CFE-CGC (principal syndicat de « cadres »), également partie prenante des négociations, a annoncé sa réticence à signer l’accord, non pas en raison d’une opposition avec les coupes drastiques qui y sont proposées, mais parce qu’elle n’a pas réussi à y inclure la fin de la dégressivité des allocations chômages pour les hauts revenus. Enfin, si elle a déjà annoncé qu’elle ne signera pas l’accord et l’a dénoncé ouvertement, la CGT a tout de même participé aux négociations, légitimant ainsi le cadre de discussion que le gouvernement avait pourtant clairement cadré.
Si l’accord n’est pas encore incorporé au budget de l’Etat, le gouvernement l’a d’ores et déjà « salué », par la voix de sa porte-parole Maud Bregeon : « [cet accord] démontre que la méthode qui est celle du Premier ministre du gouvernement de laisser la place au dialogue social, de prendre le temps d’échanger, de prendre le temps de négocier. Ce n’est pas facile, mais ça porte ses fruits ». Et le gouvernement a en effet de quoi être ravi : lui qui n’avait demandé « que » 1.2 milliards d’euros de coupes se voit remettre un plan qui prévoit le double, de la main même d’organisations qui dirigeaient il y a moins de 2 ans la lutte contre la réforme des retraites.
De leur côté, ces mêmes organisations, CFDT en tête, se réjouissent du retour du « dialogue social » et jouent un rôle actif dans l’offensive austéritaire, appuyant un nouveau coup de canif dans l’assurance chômage. La délégation CFDT a ainsi expliqué hier soir que « faire aboutir ce cycle de négociation de manière positive était nécessaire pour faire la démonstration que le dialogue social reste le meilleur moyen d’aborder les enjeux économiques et sociaux, et montrer notre capacité à définir des règles communes ». Une façon de clore définitivement la séquence des retraites qui avait vu l’ancienne direction, Laurent Berger, forcée par sa base, à devoir lutter dans la rue et par la grève.
La direction de la CFDT se félicite donc de redevenir un interlocuteur du gouvernement. En effet, alors que depuis 2017 Macron voulait en finir avec les « corps intermédiaires », la CFDT a toujours constitué l’aile la plus conciliatrice des directions syndicales, allant jusqu’à être considérée comme la « cogestionnaire du ministère du Travail », comme pendant la loi Travail de 2016. Un rôle que les 7 ans de gouvernement Macron ont violemment écorné, à tel point que Laurent Berger s’agaçait ces dernières années dans les médias de n’être plus assez sollicité par le pouvoir. Pour la bureaucratie de la CFDT, cet accord qui s’inscrit dans la bataille pour le retour au « paritarisme », ouvre l’opportunité de se rabibocher avec le patronat, et permet en même temps de redevenir l’interlocuteur privilégié du gouvernement, qui mène une offensive austéritaire brutale contre contre l’ensemble du monde du travail.
Alors que les directions syndicales s’accordent avec le patronat pour accompagner l’offensive austéritaire, il y a urgence à dénoncer ces accords scélérats qui visent non seulement les personnes sans emplois mais aussi l’ensemble du monde du travail. Face à un gouvernement qui prépare l’austérité, et à un patronat qui prépare un carnage social avec 300 000 emplois menacés, les syndicats et militants combatifs de la CFDT, dont la grande majorité ont été du combat pour les retraites, ne peuvent rester en silence. A rebours du « dialogue social » qui est synonyme de régression sociale, le mouvement ouvrier doit opposer une riposter à l’offensive gouvernementale et patronale. Face à la crise sociale qui ne cesse de s’aiguiser, il faut construire un plan de riposte, en indépendance de l’Etat et du patronat, pour faire reculer l’austérité et l’offensive patronale.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE