Face à l’ampleur que prend la mobilisation des travailleurs des magasins Biocoop- Le retour à la terre, la direction nationale de Biocoop tente d’éviter une contagion du mouvement à d’autres magasins. Soucieuse de son image de marque, elle va jusqu’à envoyer un communiqué aux 650 gérants de magasins pour isoler le conflit aux 2 magasins de sa franchise « Le Retour à la terre » et dénonce une « instrumentalisation » de la part des grévistes.
Pourtant, ce n’est pas la première grève au sein du réseau. De plus en plus de salariés de Bioccop dénoncent leurs conditions de travail sur les réseaux sociaux et manifestent leurs envies d’élargir la grève notamment à l’occasion de la journée interprofessionnelle du jeudi 17 septembre.
Des travailleurs de la Biocoop Montgallet (75012), de la Biocoop Coquelicot (Strasbourg) et de la Biocoop Mougins (Alpes-Maritimes) ont souhaité témoigner pour raconter l’envers du décor.
1) Vos magasins étaient ouverts pendant le confinement, tu peux nous raconter comment les salariés ont vécu la période ? Quelles ont été les conséquences sur vos conditions de travail ?
Un salarié de la Biocoop Montgallet (75012) : « J’ai travaillé comme un galérien au sec pendant le confinement, à ne prendre aucune pause pendant bien un mois pour avancer au maximum pour les collègues de l’après-midi. Donc ce fut très dur et il n’y avait pas de gérant à l’horizon. Le tout pour 500 euros de prime et sans un merci. Il y avait trois énormes palettes par jour et jusqu’à quinze (maximum et le record) à plus de 15000€ de marchandise. De mon côté j’ai fait peu d’heures supplémentaires car justement je bossais comme un dingue avec une cadence de dingue sans pause pour ne pas finir tard. On recevait les injonctions du gérant mais il n’est pas venu de toute la période covid. Ainsi il a empoché le gros lot sans soulever un carton.
On a tous subi de la surcharge de travail, un stress amplifié, et il y avait un besoin de rendement plus grand, absence d’empathie et aucun remerciement, prime dérisoire au vu du travail fourni, répétitions des réassorts comme à l’usine ou en grande distribution... Accompagnés de remarques toujours négatives du gérant, aucun encouragement.
Il y avait une collègue en caisse toute la matinée et l’après-midi en rayon jusqu’au soir. Elle finissait par faire des semaines de 40h, c’était très dur, très intensif et très stressant. »
Une salariée de la Biocoop Mougins : « Les collègues étaient sans arrêt surveillés, certains étaient épuisés par le remplissage des rayons et les commandes car les caddies n’étaient pas limités. Une employée a dû se mettre en arrêt-maladie. Un autre a reçu un avertissement parce qu’il n’avait pas contrôlé le cabas d’un client (pratique courante dans notre magasin). Une employée a été atteinte du COVID, la direction lui a dit de ne surtout pas le dire aux autres. Moi, on m’a reproché mon absence pour garde d’enfant ».
Une salariée de la Biocoop Coquelicot de Strasbourg : « Personnellement j’étais en poste depuis peu quand le confinement a débuté, les conditions de travail que je trouvais déjà plus que moyennes ont été encore plus difficiles : en effet dans mon rayon sec, l’effectif est passé du jour au lendemain de 1 employé + 5 stagiaires à seulement 1 employé, et en même temps le chiffre d’affaires a été multiplié certains jours par 4. Inutile de préciser que tous les salariés ont fait le maximum sachant cette période transitoire, donc on a fait plus d’heures pendant la journée, on est venus plus tôt ou parfois jusqu’à 23h pour remplir les rayons vidés par les clients. L’hygiène étant déjà déplorable dans le magasin il est évident que les règles les plus élémentaires ont eu du mal à être enclenchées (filtrage/nettoyage/mise à disposition de masque/ de plexi pour les caisses...). Les 2 personnes qui ont réclamés des moyens ont été de suite critiquée par la direction puis évincées (fin de période d’essai et licenciement) ».
Lucía de la Biocoop Coquelicot de Strasbourg : « Je suis arrivée à la Biocoop Coquelicot avec des étoiles plein les yeux, l’univers me correspondait à merveille. C’était ma première expérience mais malgré mon ignorance et naïveté je me suis petit à petit rendu compte de certaines choses qui clochaient, qui n’étaient pas normales. Pour être un magasin qui prônait les valeurs sociales, les dimanches majorés à 10% et les jours fériés rattrapés et jamais majorés titillaient ma conscience.
Tout tournait autour de l’accueil client tel un Starbucks, les salariés n’étaient clairement pas la priorité. Mais le déclencheur fut la crise du Covid 19. Clairement en sous-effectifs, la charge physique et morale multiplié par 4, on a dû se confronter à un renforcement de la pression provenant de la direction : 4 avertissements pour cause de retards, 2 licenciements abusifs (dont un par faute grave), 3 arrêts de période d’essai, 2 démissions par dépit et une médiation professionnelle non acceptée. J’étais perdue, je me sentais très seule et déstabilisée.
2) Depuis plus de dix ans, Biocoop connaît un véritable remaniement avec de plus en plus de porteurs de projets directement issus de la grande distribution (Carrefour, Intermarchés). Les structures réellement coopératives semblent désormais minoritaires et les magasins ont l’air de fonctionner comme n’importe quelle autre enseigne de la grande distribution. Cela se ressent-il dans vos magasins ?
Un salarié de la Biocoop Montgallet : « Malheureusement l’esprit coopératif originel a été perverti.
Certes les décisions sont prises de manière collégiales dans les AG Biocoop, mais du fait des structures "d’indépendant" qui marche comme des franchises, chaque gérant agit comme un seigneur sur ses serfs. Les gérants sont bien souvent de petits potentats ! J’ai essayé plusieurs fois de voir si l’herbe était plus verte dans d’autres Biocoop qui s’ouvraient que ce soit à Paris ou province et j’ai constaté que beaucoup de patrons venaient de la grande distribution et comptaient mettre en place un management qui va de pair avec leur expérience ! Seuls les scoops permettent de garantir une égalité et équité de traitement entre salariés. »
Une salariée de la Biocoop Mougins : « C’est totalement cela, on m’a reproché de ne pas être assez "productive" car je ne remplis pas assez vite les rayons, que je parle à mes collègues et mon facing est, je cite : "dégueulasse". Ce sont les promos qui sont mises en avant, les packagings et les nouveautés. Les produits locaux et les producteurs servent uniquement de faire valoir. L’éthique mise en avant par l’enseigne Biocoop, le respect de l’environnement, des producteurs, des modes de production, sont utilisés à des fins commerciales point ».
Une salariée de la Biocoop Coquelicot de Strasbourg : « Ce qui est sûr c’est que j’ai intégré un magasin Biocoop en pensant y trouver une éthique et que les méthodes de management que j’ai constatées sont ce qu’il y a de pire et ce que j’ai fui en quittant un grand groupe : harcèlement, humiliation, mise à l’écart du groupe, mensonge. Toutes les méthodes sont bonnes pour faire craquer les éléments indésirables (est considéré comme indésirable une personne qui souhaite du gel hydroalcoolique en caisse ou un RDV à la médecine du travail) ».
3) Biocoop a une image de marque plutôt progressiste aux yeux de la population, notamment pour son coté écolo. Pourtant, comme le démontre vos propos, c’est loin d’être l’idéal au niveau des conditions de travail. Pour vous, il y a une certaine hypocrisie dans le discours marketing de l’entreprise ?
Un salarié de la Biocoop Montgallet : « Absolument ! Biocoop utilise à fond le green-washing à coup de campagne de communication pour redorer le blason. Pour ma part ça fait quasi 10 ans que je suis dans mon magasin et j’ai dû voir à peu près 150 personnes passer. Le turnover est important tant la tâche est pénible mais aussi la pression que l’on a. Et puis parlons salaire... On a le SMIC+10 %, donc au bout de 10 ans j’émarge toujours à 1300€ avec l’augmentation annuelle du SMIC, 4 ans sans prime... J’ai connu un temps où le siège de Biocoop était à St François-Xavier non loin des Invalides dans un hôtel particulier du 18e siècle avec boiseries. C’est beau pour l’image...
Maintenant ils sont du côté de Iéna dans un immense immeuble moderne plein de marbre, chic. Ce n’est pas très raccord avec l’image éthique que revendique l’enseigne ».
Une salariée de la Biocoop Mougins : « Bien sûr. On ne peut pas mettre en avant les valeurs de respect, de bien-être, de bienveillance, de protection, de coopération et s’adresser à un employé sans lui accorder la moindre considération. Dans mon magasin, la direction n’hésite pas à dire de "dégager" à ses employés, de dire ; "baisse la tête quand j’arrive", à ne pas les soutenir quand ils se sentent agressés par un client ou encore à donner des avertissements sans le moindre fondement mais uniquement pour asseoir leur autorité. »
Une salariée de la Biocoop Coquelicot de Strasbourg : « Je crois que si les clients avaient une idée de ce qui se passe, de l’envers du décor ils ne viendraient tout simplement plus. Les employés sont des jeunes qui n’ont aucune connaissance du droit du travail et c’est bien normal donc aucune règle n’est respectée, les gérants n’ont visiblement aucunes compétences non plus en terme de législation et surtout ne sont pas suivis par Biocoop donc on se retrouve dans des situations où ils font ce qu’ils veulent tant que ça passe. Et ça passe car les salariés sont contents de pouvoir récupérer les fruits et les légumes pourris en plus des produits périmés et donc acceptent des conditions de travail affligeantes ».
4) La grève à Biocoop - Le Retour à la Terre a mis en lumière les difficultés des salariés de l’enseigne. Aujourd’hui, Biocoop National parle d’instrumentalisation de difficultés qui n’existeraient que dans 2 magasins parisiens. Qu’en pensez-vous et comment avez-vous interprété leur grève ?
Un salarié de la Biocoop Montgallet : « Ce mouvement est très important pour tous les salariés de l’enseigne que l’on muselle du fait de "l’indépendance" des magasins vis à vis du siège ! C’est une aubaine pour tous de montrer que nous sommes la force du réseau. Nous sommes de nombreux magasins en France à soutenir leur mouvement et nous devons nous unir à leur combat. Il est scandaleux et pathétique de voir l’attitude de Biocoop National quant à l’issue de ce mouvement. On voit bien le mépris et le peu d’égard qu’ils ont des salariés au sein du réseau. Ils souhaitent éviter la contagion d’un mouvement social national en tuant le fœtus dans l’oeuf. Nous devons être solidaires et unis face à leur politique de grande distribution ».
Une salariée de la Biocoop Mougins : « C’est une très bonne initiative ! Malheureusement, la première réaction de Biocoop, c’est de faire taire les employés ; surtout ne rien dire car selon eux, nos revendications sont soit personnelles ou ne concernent qu’un magasin isolé. Et bien non, les conditions sociales de certains employés Biocoop ne sont pas satisfaisantes ; pression morale, impossibilité à négocier un départ dans de bonnes conditions, absence de dialogue, manque de considération, gestion du personnel sans équité et dans mon magasin pas de CE, pas de syndicat, ce qui permet à la direction de continuer en toute impunité ».
Une salariée de la Biocoop Coquelicot de Strasbourg : « Biocoop fait ce que les gérants font au niveau local : en cas de problème, on isole on rejette plutôt que se poser et de prendre ses responsabilités. C’est affligeant et déloyal, je comprends la colère des salariés. Faire grève est le seul moyen existant pour pouvoir parler aux clients et visiblement c’est malheureusement le seul moyen qui marche puisqu’à Strasbourg, l’idée qu’un tract circule et qu’une grève ait lieu a permis comme par magie d’avoir la prime Covid annoncée depuis des mois mais suspendue, des chaussures de sécurité, des rdvs à la médecine du travail, des rectificatifs au niveau des erreurs sur les salaires ».
Lucía de la Biocoop Coquelicot de Strasbourg : « Après m’être syndiquée j’ai essayé de mobiliser l’équipe pour défendre nos droits. Ce fut un travail long et ardu mais en août 2020, les choses commencent à changer. Comment ? La direction fut avertie d’un possible tractage si nos revendications n’étaient pas prises en compte. A ce jour les employés ont reçu leurs fiches de poste, un rendez-vous avec la médecine du travail, des chaussures de sécurité et la prime, autant méritée que défendue. Mais la lutte ne s’arrête pas ici, on s’est rendu compte tout le long que la cible de nos revendications n’était pas seulement notre magasin mais l’ensemble du réseau. Malheureusement, une politique libérale qui prône le profit au détriment de ses employés s’est emprise de ce réseau pourtant pionnier dans le respect des valeurs éthiques entourant la production, distribution et commercialisation des produits bio. Une pétition pour la révision de la charte de la Biocoop et la réélection de la présidence devrait être lancée. On fait tous partie du même combat, du salarié smicard au petit producteur. Laissez-nous y participer. »
Venez soutenir les grévistes de Biocoop – Le Retour à la Terre le dimanche 6 septembre au 114 avenue Philippe Auguste (75011) à 10h contre la première ouverture le dimanche !
Vous pouvez également soutenir la mobilisation en donnant à leur caisse de grève :
https://www.papayoux-solidarite.com/fr/collecte/le-retour-a-la-greve
Publié par REVOLUTION PERMANENTE