(avec l’AFP)
La ministre du Travail, Myriam El Khomri, a indiqué, le 12 janvier sur Europe 1 qu’elle présentera la « grande réforme audacieuse » du Code du travail « le 9 mars prochain » en Conseil des ministres.
Son projet de loi pourrait toutefois fusionner avec celui du ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, sur les nouvelles opportunités économiques : « Il n’y aura peut-être qu’une seule loi, et d’autres aspects qui seront pris d’un point de vue réglementaire », mais ce serait un « choix politique » du président et du Premier ministre, a-t-elle ajouté.
La ministre a écarté la proposition du Medef d’un « contrat de travail agile », qui faciliterait le licenciement en incluant des motifs de ruptures inattaquables dans le contrat de travail (v. ci-après). « L’enjeu, c’est de créer de l’emploi et pas de faciliter les licenciements, je ne peux pas être plus claire », a-t-elle répondu au patronat, à qui elle a reproché d’en réclamer « toujours plus ».
Par ailleurs, contrairement à ce que laissaient entendre ses propos tenus le 9 janvier sur France Inter (v. l’actualité nº 16995 du 12 janvier 2015), la ministre a estimé que « la courbe du chômage s’inverserait en 2016 », faisant valoir une reprise de l’emploi « en 2015 », avec « près de 46 000 créations nettes d’emploi ».
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François Hollande l’avait annoncé pour mi-janvier en Conseil des ministres. Mais c’était confondre vitesse et précipitation. Invitée mardi de l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), Myriam El Khomri a précisé que sa future loi sur le Code du travail serait présentée début mars au gouvernement, puis fin mars à l’Assemblée, pour un examen au printemps et une adoption espérée « avant l’été ».
L’ampleur du texte implique de fait un gros travail d’écriture.
Outre la préparation de la réécriture future du Code du travail (elle s’étalera jusqu’à fin 2017),
le projet de loi contiendra la refonte immédiate de sa partie relative au temps de travail (sans remise en question des 35 heures mais en les assouplissant encore),
des articles posant les bases du futur compte personnel d’activité,
des mesures sur la médecine du travail et des dispositions sur la restructuration des branches professionnelles.
Un gros volet du texte sera aussi consacré, a indiqué la ministre du Travail, à « toutes les mesures sociales » liées à l’essor de l’économie collaborative et de l’économie numérique (encadrement du télétravail, sécurisation des forfaits jours, statut et protection sociale des travailleurs indépendants, etc.), dans le prolongement du rapport Mettling de cet automne et du rapport Terrasse qui sera remis d’ici à la fin du mois.
Reste qu’avec un vote au mieux courant juin, puis les traditionnels délais de publication des décrets, il est difficile d’imaginer la future loi être pleinement opérationnelle avant la fin de l’année au mieux, un calendrier en contradiction avec « l’état d’urgence économique et social » décrété par le chef de l’Etat.
Une « mesurette » pour le Medef
Alors que le Medef y voit une « mesurette » (lire ci-dessus), l’opposition un « effet d’annonce » et que FO craint une approche visant surtout à « sortir des chômeurs des statistiques », Myriam El Khomri a, par ailleurs, vivement défendu le plan de formation de 500.000 chômeurs annoncé lors de ses voeux par François Hollande. « Si nous avions voulu faire un traitement statistique du chômage, comme beaucoup de nos prédécesseurs, nous aurions convoqué tous les demandeurs d’emploi pour augmenter les radiations.
Or elles sont à un niveau particulièrement bas », a-t-elle insisté, assurant que « l’enjeu, ce n’est pas juste une formation et puis plus rien derrière. Nous sommes dans un enjeu d’investissement humain pour améliorer la compétitivité de notre économie ».
Les détails de ce plan de formation, et des aides à l’embauche dans les PME, devraient être dévoilés par François Hollande le 18 janvier, lors de ses voeux aux partenaires sociaux. ■
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Site Mediapart - par Mathilde Goanec contact@mediapart.fr
L a « commission Badinter », chargée de simplifier le droit du travail, doit rendre ses conclusions fin janvier. Sa composition, la proximité idéologique de ses membres et certaines de leurs activités extraprofessionnelles inquiètent sur la teneur des résultats. L’enjeu est de taille : il s’agit d’écrire le squelette du nouveau code du travail.
Pour lancer une réforme, rien de tel qu’un « comité de sages », tout à la fois architectes et cautions. Après le rapport Combrexelle et avant le projet de loi du printemps, le gouvernement a chargé un aréopage de personnalités, emmené par la figure de Robert Badinter, de réfléchir à une refondation du droit du travail français et accessoirement de déminer le débat.
« C’est une technique éprouvée : on fait d’abord une commission théodule avec des gens dont on connaît les positions et qui diront des choses plaisantes à l’oreille des ministres », assure Emmanuel Gayat, avocat spécialiste en droit social, qui trouve d’ailleurs « extraordinaire » qu’aucun« syndicaliste, ou véritable acteur du monde du travail »n’ait été convié. « Il ne faut pas donner trop d’importance à cette commission, tempère de son côté Pierre Joxe, ancien ministre de Mitterrand, et avocat au barreau de Paris. Par les temps qui courent, rien ne dit que la réforme ira à son terme. » Comité fantoche ou pas, l’examen des membres de la « commission Badinter » donne des pistes sur l’issue des travaux, prévue pour janvier.
Son combat contre la peine de mort en fait l’une des figures morales les plus fortes de la Cinquième République. Fameux pénaliste, défenseur ardent des droits de l’homme, Robert Badinter est cependant loin d’être un spécialiste du droit du travail. Le voir cosigner un ouvrage sur le sujet cette année avec l’universitaire Antoine Lyon-Caen, Le Travail et la Loi, en a donc étonné plus d’un. Le livre reprend une marotte de la droite, la simplification du code du travail, propose de ramener à cinquante grands principes les règles qui encadrent le contrat de travail et de donner, en creux, une place plus large à la négociation collective.
« Ce livre a été une petite surprise, c’est vrai, et il n’y a pas de doute sur le fait que c’est Antoine qui lui a tout appris, confie un proche de l’ancien garde des Sceaux. Mais Badiner est réellement très inquiet du contexte politique, de la situation de la France, du chômage. Toutes ces questions le taraudent. »
L’homme est assurément soucieux « des plus faibles », poursuit ce proche, mais aussi libéral dans son approche économique, très « seconde gauche » malgré son parcours auprès de Mitterrand. « Badiner est un grand avocat, une autorité morale, personne ne le nie. Mais dans son approche des rapports sociaux, c’est loin d’être un révolutionnaire », poursuit Emmanuel Gayal.
« Le code du travail n’est pas un texte sacré, la bible de la gauche ! confiait le principal intéressé au Parisien en septembre.Pour ma part, dans le domaine des libertés, je porte le bonnet phrygien. Mais sur les sujets économiques et sociaux, j’ai toujours été un social-démocrate. »
Il a défendu, jusque dans les années 90, plusieurs grands patrons, tels le baron Empain (à l’époque l’une des plus grosses fortunes de France), Yves Saint-Laurent ou encore l’Aga Khan, comme le rappelle l’écrivain Pauline Dreyfus dans son ouvrage Robert Badinter, l’épreuve de la justice.
Il sera même l’avocat des patrons de l’entreprise Morhange, soupçonnés d’être responsables de l’empoisonnement au talc d’une centaine d’enfants (et de la mort de 36 d’entre eux), au nom du droit à la défense pour tous. Sa proximité avec le monde des affaires passe aussi par sa femme, Élisabeth Badinter, philosophe mais également héritière du fondateur de Publicis Marcel Bleustein-Blanchet, toujours la première actionnaire du groupe.
Badinter n’a, par ailleurs, jamais vraiment renoncé à ses activités professionnelles. Il a même créé, en 2012, un cabinet d’un nouveau genre, Corpus consultants, où une quinzaine de professeurs de droit délivrent des conseils juridiques tous azimuts, de manière dématérialisée.
Une innovation saluée par le milieu juridique, mais qui fait grincer les dents, et notamment celles de Pierre Joxe, critique sévère du dernier ouvrage de l’avocat sur le code du travail. « Corpus consultants pose un problème de déontologie grave. Robert Badinter n’embauche que des professeurs d’université qui mettent en avant leur titre comme argument de vente ! Or le métier de professeurs agrégés – payés par l’État –, c’est d’enseigner les étudiants, pas de donner des consultations juridiques aux patrons. »
Pour se prémunir contre ces critiques, Corpus consultants stipule noir sur blanc qu’il s’agit de conseils aux professionnels du droit (avocats ou service juridique), et pas directement aux entreprises.
Par ailleurs, sans que l’on sache si cela a un rapport ou pas avec sa nomination à la tête de la commission, Robert Badinter a disparu de la page d’accueil du site et ne serait plus associé du cabinet depuis le début du mois de décembre (interrogé, Corpus consultants n’a pas répondu à notre question).
Des deux professeurs de droit qui composent la commission chargée de plancher sur le code du travail, aucun ne fait partie de Corpus consultants. Ce qui ne les empêchent pas de faire du conseil par ailleurs, une pratique largement répandue dans la profession. Françoise Favennec-Héry, enseignante-chercheure au sein de la fameuse université Panthéon-Assas, est une vraie spécialiste du droit du travail, auteure de nombreux ouvrages et articles sur le sujet.
« À la pointe de son domaine, le cabinet s’est doté d’un conseil scientifique pour identifier et anticiper les grandes évolutions du droit social, peut-on lire sur le site. Capstan Avocats entend participer à la construction de la doctrine relative au droit du travail. Faire entendre la voix des entreprises et défendre leurs intérêts est l’une des missions que s’est fixées le cabinet. » –> Pluralisme idéologique relatif
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En marge de l’université, cet institut mène des projets de recherche financés par l’Union européenne ou le ministère des affaires étrangères français, afin d’améliorer l’action publique à l’étranger. Aujourd’hui retraité, le professeur Antoine Lyon- Caen a également rejoint, comme « juriste consultant », le cabinet familial, et devrait prochainement devenir associé. Un cabinet qui a une clientèle faite d’entreprises, mais aussi de particuliers, d’associations ou de syndicats.
Décrit par plusieurs de ses collègues comme « farouchement intègre », c’est moins ces activités annexes que le virage doctrinal qui surprend, dans le parcours d’Antoine Lyon-Caen. Marqué à gauche, le professeur de droit a, toute sa vie, défendu les protections offertes par le code du travail et mis plusieurs fois en garde contre l’utilisation « économique » du droit.
Ainsi, en 2004, dans un article rédigé avec l’avocate Hélène Masse-Dessen à la suite du rapport Virville (50 propositions de réformes, déjà), il fustige les velléités simplificatrices des experts autoproclamés (« Heureux, certes, sont les simples é- crits »), ainsi que le lien supposé entre un code du travail trop complexe et l’efficacité économique : « Une nuée de docteurs ausculte notre droit du travail. Certains, juristes de profession, ont étudié le code du travail et l’ont trouvé difficile d’accès et peu lisible. (…) D’autres, économistes savants, pétris de rationalité instrumentale, nous disent avoir mis en lumière l’innocuité, parfois la perversité du droit du travail en ce qu’il est supposé contribuer au développement de l’emploi. »
Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen écrivent ceci, en préambule de leurs 50 propositions pour simplifier le code du travail : « Faire régner la clarté là où sévissent l’incertitude et la confusion et faciliter ainsi l’embauche au sein des entreprises, telles ont été nos intentions en rédigeant ce petit ouvrage. Il en adviendra ce que ses lecteurs et le public en feront. » Cela n’a pas tardé. Le Medef a très vite « salué l’initiative », Hollande a maintes fois cité publiquement ce travail (qui aurait été présenté en avant-première à l’Élysée selon Libération) et Manuel Valls a fait de l’oeuvre du duo de juristes l’alpha et l’oméga d’un droit du travail rénové.
Car la réflexion des deux juristes va forcément imprimer sa marque sur les travaux de la commission, d’autant plus qu’elle a déjà été en partie reprise par la mission Combrexelle, un rapport auquel ont participé Antoine Lyon- Caen et Françoise Favennec-Héry. Or, les thèses nouvelles d’Antoine Lyon-Caen ont sévèrement heurté le petit milieu des « travaillistes », professeurs de droit du travail, mais aussi certains de ses proches. Sa participation à la commission Badinter est une « déception de plus ».
Patrice Adam, professeur à l’université de Lorraine, s’étonnait, avant la nomi- nation officielle de la commission Badinter, de ce revirement dans Mediapart :
« Antoine Lyon-Caen a une vraie colonne vertébrale idéologique, dit un autre de ses disciples. Mais il toute sa vie oscillé entre la posture intellectuelle et celle de penseur du gouvernement. C’est une question qu’il est peut-être en train de résoudre, malgré lui. »« Ce qui a le plus choqué dans ce livre, c’est moins les cinquante principes que l’indexation du code du travail comme cause du chômage », rappelle Emmanuel Dockès, également professeur de droit à Nanterre et collègue d’Antoine Lyon-Caen.
Quant à Pierre Joxe, qui a publiquement critiqué le travail de Badinter et Lyon-Caen lors des journées d’été du PS, il ne se contente pas de cogner sur l’ancien garde des Sceaux.
Emmanuel Gayat enfonce le clou : « Cette réforme, c’est le renforcement du PS institutionnel, qui a abandonné les classes populaires, mais aussi de ses traditionnels compagnons de route. »
L’avocate Hélène Masse-Dessen, qui connaît bien Antoine Lyon-Caen, veut espérer que sa présence dans une commission chargée de la refonte des grands principes du droit du travail sera justement l’occasion de tracer des « bornes » solides, audelà de la « vraie contradiction » des récents écrits de l’intellectuel. Cette possibilité est évoquée à plusieurs reprises par son entourage : le climat est tellement à la baisse des protections sociales qu’autant rentrer dans l’arène, pour éviter autant que possible la casse.
Avocate à la Cour de cassation, Hélène Masse-Dessen est par ailleurs une « incorrigible optimiste », qui souligne la qualité des autres membres de la commission, quatre magistrats, dont deux sont issus de la chambre sociale de la Cour de cassation. Très respecté, l’actuel président, Jean-Yves Frouin, fait bien partie du voyage. Alain Lacabarats, son prédécesseur, emporterait également l’adhésion de ses pairs.
L’histoire l’a bien montré : la Cour de cassation joue un rôle très progressiste depuis plusieurs décennies sur le droit du travail, responsable d’une jurisprudence abondante.
Mais certains arrêts rendus récemment inquiètent les défenseurs des salariés. « Je perds beaucoup », concède Hélène Masse-Dessen.
Le journaliste se réjouit notamment que « la chambre sociale se soit attaquée à ce couple infernal que connaissent bien les DRH, celui constitué de la maladie professionnelle et de la faute inexcusable ».
L’Opinion, quotidien libéral assumé, se demande également si, en matière de droit du travail, les juges ne deviendraient pas plus souples : « Derrière le droit, il y a les hommes, écrit la journaliste Fanny Guinochet.
Beaucoup expliquent ces évolutions de la Cour par un changement dans la composition de la Chambre sociale. Certains conseillers sont partis, laissant la place à des personnalités moins idéologues. La présidence de Jean-Yves Frouin, qualifié d’homme pragmatique et indépendant, fait l’unanimité. » Pour le chercheur Emmanuel Dockès, si le « paquebot change de sens, il le fait très lentement » :
« Ces magistrats sont de haute volée, au-dessus de tout soupçon de collusion. Simplement, ils sont sensibles comme les autres à l’air du temps. Et l’air du temps est terrible. Aujourd’hui, quand le gouvernement dit simplement qu’il ne remettra pas en cause le smic, il donne l’impression qu’on va passer aux 32 heures… »
Quand aux conseillers d’État conviés à la table de la commission Badinter, ils ont tous les deux la fibre sociale. Le premier, Yves Robineau, est toujours président adjoint de la section sociale du Conseil d’État. Le deuxième, Olivier Dutheillet de Lamothe, ancien membre du conseil constitutionnel, a été le conseiller social de Jacques Chirac, après avoir assisté les ministres Jacques Barrot et Philippe Seguin. Des contacts et une carrière qu’il met aujourd’hui au profit du cabinet CMS bureau Francis Lefebvre, l’un des tout premiers cabinet d’affaires français. Il y est chargé de « doctrine » en matière de droit social.
Au-delà du pluralisme idéologique relatif de la commission Badinter, et de la proximité d’un certain nombre de ses membres avec le monde de l’entreprise, c’est sur l’objectif même du comité des sages que les praticiens du droit social émettent des réserves.
établir des principes fondamentaux,
revoir l’architecture entre les règles étatiques et celles issues de la négociation collective,
inscrire ces travaux dans une loi dès 2016.
Le code devra lui être revu d’ici deux ans. Mais la clarification, certes séduisante, de ces fameux « grands principes », est loin d’aller de soi. « Le droit étatique du travail n’est pas réductible à l’énoncé de principes ou de droits fondamentaux, qui présentent nécessairement un caractère très général », souligne Isabelle Meyrat, professeur de droit à Cergy-Pontoise, que tout dans l’énoncé du gouvernement inquiète : la référence constante aux employeurs, la nécessaire « adaptation »des salariés à leur environnement, la recherche de compétitivité et de souplesse par le droit du travail. Les droits fondamentaux, un principe cher au pénaliste qu’est Robert Badinter, ne sont par ailleurs pas forcément transférables au monde du travail.
Pascal Lokiec, l’un des professeurs de droit du travail les plus en vue, proche de Lyon- Caen comme de Badinter (il est consultant pour Corpus), est lui aussi farouchement contre une réécriture du code. « Mais s’il faut en passer par là, il faut graver ces principes dans le marbre de la Constitution, et pas simplement dans le code. Pour être protecteur, le socle doit être suffisamment intangible pour ne pas être modifié à chaque alternance politique. » Ce n’est pas, a priori, l’angle choisi par le gouvernement, qui mise sur la fin de l’exercice de réécriture pour 2018, soit un an après la présidentielle. ■