Or, lorsqu'on additionne les dépenses des différents acteurs, on obtient un total beaucoup plus élevé que celui de leur production (le PIB), car certaines choses sont comptées plusieurs fois. La dépense en éclairage des municipalités, par exemple, a déjà été comptée en tant que dépense salariale par EDF ; la dépense en pain des ménages a déjà été comptée comme dépense des boulangers en farine, etc.
Considérons par exemple les dépenses de deux secteurs institutionnels, parmi les sept dans lesquels l'Insee classe habituellement les acteurs économiques : les ménages et les sociétés non financières. En 2010, la dépense des ménages (en consommation finale) a été de 1 084,8 milliards d'euros tandis que celle des sociétés non financières (en achats aux autres secteurs institutionnels et en salaires) a été de 1 928,2 milliards. On n'a pas encore compté les cinq secteurs institutionnels restants, qu'on a déjà dépassé le PIB de 56%.
Devrait-on dire alors, à la manière de M. Novelli, que les sociétés non financières dépensent, à elles seules, "99,8% de ce que nous produisons" ? Pour donner une idée approximative de l'ordre de grandeur du montant d'une dette ou d'une dépense, c'est parfaitement légitime de le juxtaposer à une grandeur plus familière, comme le PIB. Mais parler de la dépense, ou de la dette, comme si elles faisaient partie du PIB, n'aide pas à la clarté du raisonnement.
LES "DÉPENSES PUBLIQUES" DES AUTRES PAYS
Il est parfaitement légitime aussi de se demander si nos administrations publiques ne sont pas trop couteuses, si elles ne fonctionnent pas mieux, ou à moindre coût, dans d'autres pays développés. Mais c'est une erreur de croire qu'on juge de leur coût pour la société en comparant le niveau des dépenses publiques.
La différence de niveau de ces dépenses tient en très grande partie au fait que, d'un pays à l'autre, on ne compte pas la même chose (différence de périmètre) et on ne compte pas de la même manière. Comme l'expliquent les experts de l'OCDE, qui étudient le problème des comparaisons entre pays depuis des nombreuses années : "les phrases du genre ‘le pays X dépense plus que le pays Y' sont trop souvent fausses (all too often these statements are wrong)"
Au Danemark et aux Etats-Unis, par exemple, les dépenses publiques à caractère social (rapportées au PIB) s'élevaient, en 2007, à 26 et à 16,2% respectivement. A première vue la différence est énorme, de presque dix points de PIB. Mais, si l'on tient compte du fait que les prestations sociales sont taxées très différemment d'un pays à l'autre, la différence se réduit de moitié. Si l'on tient aussi compte des transferts sociaux qui ne transitent pas par les budgets publics, comme les "dépenses sociales privées à caractère obligatoire" (les cotisations d'assurance privée obligatoires payées par les entreprises, par exemple), et les différentes dépenses sociales encourues par les ménages mais déductibles des impôts (un manque à gagner pour l'administration publique mais pas une dépense), on constate que la dépense nette à caractère social est légèrement plus élevé aux Etats-Unis. Ce qui se comprend car les problèmes sociaux de ce pays sont tellement plus importants. Comme l'expliquent les experts de l'OCDE : "la dépense sociale totale, exprimée en pourcentage du PIB, est en réalité similaire dans des pays qui semblent avoir des niveaux de dépense très différents".
Des questions similaires se posent à propos de l'évolution des dépenses publiques de certains pays que nous sommes trop rapidement tentés d'imiter sans connaître leurs circonstances spécifiques. Nous devons distinguer entre les réductions des dépenses qui peuvent être utiles et transposables chez nous et celles qui s'expliquent par des conjonctures qui ne sont pas au même stade, par des évolutions démographiques différentes, par des modifications du périmètre considéré, etc.