Un an d'épidémie de Covid 19 :
Retrouver le sens du long terme
EDITORIAL
Jérôme Fenoglio
Directeur du "Monde"
En France, deux défauts majeurs ont donné des longueurs d’avance à la pandémie : l’effacement de notre culture de la prévention et l’affaissement de notre science. Autant de signes tangibles d’un déclin inquiétant pour l’avenir et le rayonnement de notre pays
Publié le 12 mars 2021
Editorial du « Monde ».
Quand cela s’arrêtera-t-il ? Un an après le basculement généralisé dans la vie diminuée du premier confinement, les Français ne connaissent toujours pas la réponse à leur lancinante interrogation.
Avec leurs voisins européens, ils ont subi des mesures de restriction de toutes sortes, ils ont suivi des voies séparées, parfois même dans des directions opposées, pour se retrouver, quatre saisons plus tard, à peu près tous au même point : des dizaines de milliers de morts et nombre de malades de longue durée, des systèmes de santé sous très forte tension, des jeunesses entravées, des générations qui s’éloignent, des inégalités qui se creusent, des secteurs économiques à l’arrêt, une vie culturelle exsangue et tant d’autres dégâts encore.
Dans l’attente des effets des campagnes de vaccination, la pandémie de Covid-19 a figé nos sociétés dans un présent atrophié, pour lequel il n’y a plus d’après, du moins tel qu’il était rêvé au tout début de cette crise majeure.
Pour l’heure, il est sans doute plus utile de se concentrer sur l’avant, sur toutes ces conditions qui n’ont pu être réunies en amont de la catastrophe afin d’en minimiser les conséquences, voire pour l’empêcher, comme y sont presque parvenus un certain nombre de pays d’Asie et d’Océanie. En France, deux défauts majeurs ont donné des longueurs d’avance à une épidémie dont certains épidémiologistes avaient prévu le risque de longue date.
Le premier tient à l’effacement de notre culture de la prévention. Des spécialistes ont décrit l’érosion rapide, au tournant des années 2000, de ce pilier de notre politique de santé publique.
Dans le public, comme dans le privé, la compression des coûts a fini par tout écraser : le sens du long terme, les plans préparés à l’avance et les stocks stratégiques.
Face au Covid-19, l’impréparation française était telle que le désastre donnera au moins un point de repère pour l’avenir, à opposer à ceux qui persisteraient à ne tenir compte que des gains immédiats. Il permettra de comparer l’énormité des milliards dépensés, en France et ailleurs, avec les sommes, infiniment plus raisonnables, qui auraient pu être consacrées à anticiper les risques pour les atténuer.
Des capacités à reconstituer d’urgence
Le second défaut est scientifique. Au cours de cette année maudite, le coronavirus a été à l’origine d’une seule bonne nouvelle. Le génie des chercheurs, intact, a permis de mettre au point des vaccins en un temps record, grâce à des techniques innovantes, avec des résultats exceptionnels. Partout dans le monde, des épidémiologistes se sont mobilisés, parfois avant même que la maladie ne porte un nom – démonstration supplémentaire qu’il était possible de voir venir une pandémie de ce type.
Mais le succès a récompensé les grandes puissances mondiales en contournant la France. Ni notre mastodonte pharmaceutique, Sanofi, ni l’institut de recherche emblématique, qui porte le nom de Louis Pasteur, n’ont pu partager ces lauriers.
Ces échecs, en grande partie responsables de la précarité de notre stratégie vaccinale actuelle, constituent les symboles les plus nets de l’affaissement de la science française. Faiblesses des crédits publics consacrés à la santé, de la part du PIB consacrée à la recherche, du salaire moyen d’un scientifique en début de carrière, recul dans les dépôts de brevets, les publications et les classements internationaux : tous les indicateurs, recensés récemment par le Conseil d’analyse économique, signalent une panne imminente.
Et il est tout à fait étonnant de constater que le débat public se focalise sur des risques très relatifs au sein des universités de sciences humaines, alors que commentateurs, responsables politiques et ministres ont sous les yeux les signes tangibles d’un déclin si inquiétant pour l’avenir et le rayonnement de notre pays.
Le sens du long terme et de la prévention, l’investissement dans les ressources scientifiques : ces capacités ne doivent pas seulement être reconstituées d’urgence parce qu’elles sont au cœur de l’universalisme français. Elles seront aussi vitales, au-delà des épidémies qui reviendront, pour anticiper la grande crise qui se profile, cette catastrophe climatique bien plus prévisible et potentiellement beaucoup plus dangereuse que la pandémie de Covid-19.
Faut-il que la situation soit grave pour que la direction du "Monde" dresse un tel bilan de la politique menée en France depuis "les années 2000" en matière de prévention, de recherche et d'investissement dans le domaine de la Santé...(On devrait ajouter dans nombres d'autres secteurs, tels l'Education, les transports et tous les Services publics).
Jérôme Fologlio ne se contente pas de dénoncer, il pointe la raison principale de cette sinistre politique poursuivie sous toutes les présidences depuis trois decennies, et accentuée par Emmanuel Macron, aux manettes depuis bientôt quatre ans :
"Dans le public, comme dans le privé, la compression des coûts a fini par tout écraser : le sens du long terme, les plans préparés à l’avance et les stocks stratégiques"...
Le verdict est sévère mais juste. Il ne manque que les raisons de ces abandons, criminels, que Jérôme Fologlio s'abstient d'évoquer : la volonté des différents présidents d'étancher la soif sans limites de dividendes des grandes sociétés privées : plus de 400 milliards distribués cette dernière décennie, et pour la pluspart distribués aux administrateurs des sociétés du CAC 40.
Prenez Sanofi, bien en peine d'offrir un vaccin, mais qui licencie ses chercheurs tout en distribuant généreusement les dividendes aux actionnaires.
Sanofi est en retard sur le développement de son vaccin, mais ses actionnaires seront quand même récompensés. Le géant pharmaceutique français Sanofi va proposer un dividende en hausse après avoir publié ce vendredi un bénéfice net en progression de près de 340 % pour l'année 2020. Ce résultat est dopé par la vente d'actions de Regeneron, la biotech américaine qui a développé le traitement contre le Covid-19 utilisé par l'ancien président américain Donald Trump.
Très critiqué pour le retard de son vaccin anti-Covid, mais aussi pour près de 400 suppressions d'emplois dans la recherche, selon les syndicats, le laboratoire a gagné 12,3 milliards d'euros de bénéfice en 2020. Il va ainsi pouvoir proposer un dividende à 3,20 euros par action, ce qui représentera au total un versement de plus de 4 milliards d'euros à ses actionnaires. Pour l'exercice précédent, Sanofi avait versé un dividende de 3,15 euros par action.
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Le Conseil d’administration, réuni le 4 février 2021, a proposé un dividende de €3,20 par action, soit la 27ème année consécutive de croissance du dividende.
Ca n'empêche pas Nicolas" conclut :
Même si le directeur du "Monde" se fait discret sur cette réalité, il n'en demeure pas moins que, sortant de sa réserve habituelle, Jérôme Fologlio se croit obligé de dénoncer la grande misère imposée à la France par la politique menée par Emmanuel Macron et ses prédécesseurs.
Un signe de l'extrême gravité de la situation et qui inquiète jusque dans les milieux de la finance, dont "Le Monde" n'est pas loin...
Publié par http://canempechepasnicolas.over-blog.com