Plan social déguisé à la RATP : les licenciements pour faute grave et inaptitudes explosent
Alors que la RATP a tenté une opération de communication en début d’année sur les recrutements, Révolution Permanente a pu se procurer le bilan emploi de l’année 2024 présenté aux élus du CSE du réseau Bus. Un rapport qui dévoile l’explosion du nombre de licenciements pour faute grave et inaptitude médicale.
La chasse aux malades en constante augmentation à la RATP
C’est le grand chantier initié par Castex depuis son arrivée à la tête de la RATP : faire la chasse aux agents en arrêt maladie et pousser vers la sortie les agents devenus inaptes à leur poste de travail, suite à une maladie professionnelle, un accident du travail ou pour un autre motif.
Depuis l’accélération de l’ouverture à la concurrence du réseau bus, la direction de Castex a accéléré également le taillage à la hache des effectifs de l’entreprise. Quasiment 2000 postes supprimés sur les trois dernières années et une augmentation croissante des licenciements pour « inaptitudes » médicales. Alors qu’ils étaient 126 agents en 2023, c’est une progression de 61% pour l’année 2024 avec 203 agents. Le chiffre est tout aussi spectaculaire pour les révocations et licenciements pour faute grave qui passe de 320 en 2023 à 473 en 2024, soit une progression de 48% en un an.
Des chiffres qui démontrent clairement le tournant pris par la RATP pour réduire les effectifs, avant la privatisation des dépôts en 2025 et 2026. De plus, il faut noter que dans le cas des agents inaptes, le repreneur aura tout loisir de décider de poursuivre ou non leur contrat. En clair, la grande majorité risque de se faire licencier faute de reclassement. La RATP étant son propre repreneur avec sa filiale de droit privé CAP IDF, le sort réservé aux agents inaptes en 2024 se poursuivra encore plus durement au moment du basculement des effectifs.
Vous l’aurez compris, il y a donc un enjeu pour la direction de la RATP, de reclasser le moins d’agents possible dans les prochains mois, car leur statut d’inapte facilitera encore plus leur licenciement par la suite. Pour preuve dans ce même bilan emploi, il n’y a aucun agent reclassé dans une des filiales du groupe RATP en 2023 comme en 2024. Des agents ont d’ailleurs raconté à Révolution Permanente comment la direction freine des quatre fers pour reclasser les agents du réseau bus, prétextant un manque de poste, alors que la RATP compte de nombreuses filiales et des milliers de postes. Parfois même pour certains agents licenciés ce sont des raisons fantoches qui sont données, comme cela a été le cas pour Mamadou, agent au dépôt de Flandres depuis 2006 et qui fait partie des 203 agents licenciés en 2024. Suite à un accident grave, ce dernier a demandé un reclassement en tant que travailleur handicapé : « on m’a refusé un poste suite à un test pour un poste en bureau. J’aurais soi-disant fait 3 fautes d’orthographes (…) j’ai demandé à voir ma copie, cela m’a été refusé ». Le cas de Mamadou est symptomatique de cette radicalisation patronale, qui considère n’avoir aucun compte à rendre aux agents inaptes ou/et reconnus travailleurs handicapés : « quand je suis revenu sur mon dépôt après mon arrêt, la nouvelle direction du dépôt m ’a dit : "nous n’avons aucune obligation envers vous". Je suis resté sans voix ». À la suite de ce soi-disant test raté, Mamadou a été convoqué pour être révoqué.
Pourtant les entreprises comme la RATP qui refusent même de suivre les règles ultra-minimales édictées par l’Etat imposant d’embaucher un pourcentage de travailleurs handicapés, disposent pourtant de budgets spéciaux et importants pour adapter les postes des agents RQTH. C’est à l’employeur de mettre les moyens humains et financiers pour accompagner ces travailleurs. L’entreprise, en plus de se soustraire à ses obligations légales, finit par virer sans ménagement les agents handicapés ou malade.
Le cas de Mamadou et des autres agents licenciés sert aussi d’avertissement au reste des salariés. Certains agents racontent l’épée de Damoclès qui pèse sur les machinistes en cas d’inaptitude, et pousse de nombreux agents à éviter de déclarer des problèmes de santé ou encore des accidents du travail. C’est le cas par exemple de Patrick (prénom modifié), machiniste dans le 92, qui nous raconte « Cela fait presque 20 ans que je suis machiniste, je fais de l’apnée du sommeil depuis des années maintenant, mais je ne le déclare pas, car je sais que derrière la direction voudra se débarrasser de moi ». Pour Patrick c’est donc la peur du chômage qui lui fait prendre des risques sur sa santé et celle des usagers. Il nous explique comment cette politique d’entreprise impacte les choix des agents ; « la vérité c’est que nous sommes plusieurs à avoir peur de dire les choses, car nous voyons comment les agents malades sont maltraités, comment ils virent comme des kleenex les collègues inaptes (…) si la direction nous permettait d’évoluer vraiment, je pense que j’aurais déclaré mon apnée du sommeil depuis longtemps, mais la réalité c’est qu’on a tous peur de vivre la même chose que les autres, du coup on ferme nos gueules. »
Le cas de Patrick révèle un véritable management par la peur, qui pousse des agents à prendre des risques pour leur santé, plutôt que de prendre le temps de se soigner et qui se retrouve par peur de la précarité à mettre en danger la vie des usagers. L’un dans l’autre les directions comme celle de la RATP profitent de la situation, pouvant se couvrir derrière la méconnaissance des problèmes médicaux de l’agent en cas d’accident, quand ce n’est pas elle-même qui exige des agents de conduire des bus avec des traitements médicamenteux lourds. L’essentiel pour la RATP est de faire tourner la boutique, quoi qu’il en coûte pour la vie des salariés et des usagers.
« La RATP multiplie les licenciements pour "faute grave" afin de virer les gens sans indemnités »
Pour Ahmed Berrahal, militant de la CGT et référent harcèlement de la CSSCT, il y a un véritable changement dans la politique emploi à la RATP : « avant il y avait un minimum de respect pour les agents, mais avec l’ouverture à la concurrence, ils ne se cassent plus la tête, ils dégagent les gens. », le syndicaliste confirme également que de nombreux agents subissent cette situation, préférant se taire sur leurs accidents ou maladie professionnelles « Il y a des agents qui se font agresser au volant de leur bus et on exige d’eux d’avoir des témoins pour reconnaître l’arrêt. À cause de cette politique, de nombreux agents ne font même plus les déclarations d’accident, car ils ont peur du préjudice contre eux ». Pour le syndicaliste de la CGT Ahmed Berrahal cette augmentation des licenciements est très grave. Il dénonce un acharnement sur des salariés qu’il dit « victimes d’accidents du travail, suite à des agressions, ou encore des véhicules en manque d’entretien qui provoquent des troubles musculo-squelettiques ». Il dénonce cette chasse aux malades expliquant que « personne n’a demandé à être inapte, personne ne demande à être handicapé ou malade, mais au final on les rend presque coupables de l’être en les poussant vers la sortie de force. »
Même constat pour Louisa Lamour, avocate en droit du travail, qui a participé à la création du collectif contre la répression à la RATP, pour qui le bilan emploi confirme le durcissement de la direction de la RATP : « La RATP licencie énormément pour "faute grave", ça lui permet de licencier les gens sans indemnités, parfois pour un arrêt maladie qui ne serait pas arrivé dans les temps ». L’avocate dénonce un calcul conscient des employeurs et en l’occurrence de la RATP en lien avec les politiques mises en place par Macron pour faciliter les licenciements, « le plafonnement des indemnités en cas de licenciements sans cause réelle est sérieuse permet à la direction de budgétiser combien lui coûte un licenciement. Ils perdent régulièrement en justice mais ils savent que cela ne leur coûte pas cher ».
L’avocate confirme que la RATP ne semble pas permettre le reclassement des agents inaptes : « Sur les plusieurs dizaines d’agents inaptes qui font partie du collectif, aucun n’a été reclassé, ou bien sur des postes qui ne sont absolument pas adaptés. Pourtant, des milliers de postes existent dans le groupe RATP, mais la politique de la direction est de privilégier les licenciements des agents malades ». « En 2023 il y a eu 313 licenciements pour autres motifs que faute grave, 421 agents ont été jugés inaptes en 2023 et entre fin août 2023 et fin août 2024, le nombre de licenciements pour motif médical a augmenté de 66%. C’est clairement un plan social déguisé » expliquait Yassine Jioua, membre du collectif contre la répression et l’ouverture à la concurrence.
Face à l’offensive, plus de 150 agents RATP regroupés dans un collectif
Face à la situation, de plus en plus d’agents se sont regroupés dans un collectif initié par Révolution Permanente pour passer à l’offensive contre la répression à la RATP. Ils sont plus de 150 agents, victimes en grande partie de la CCAS, qui joue le rôle de machine à broyer pour la direction de la RATP. Multipliant les non-paiements parfois pour un document, contestant les déclarations d’accidents, payant des cabinets pour organiser des contrôles médicaux abusifs.
Pour le syndicaliste Ahmed Berrahal, également membre de ce collectif : « Il faut que la peur change de camp, c’est pour cela que le collectif est important, car il faut s’organiser maintenant contre cette cabale aux agents inaptes. ». Pour Louisa Lamour, l’objectif « est de faire le maximum la lumière sur les pratiques d’une entreprise, qui est en train de broyer les agents à petit feu », pour elle le collectif « a permis de redonner beaucoup d’espoir à de nombreux agents, jusque-là seuls, face à une direction qui se croit inarrêtable. Dans le collectif ils voient que ce qui se passe, est un système bien organisé par la direction et que tous sont victimes de cette politique. »
À n’en pas douter, la situation à la RATP est de plus en plus grave, entre révélation de violences sexistes et sexuelles sur de nombreuses travailleuses, ou sur ces licenciements organisés et massifs d’agents malades en constante augmentation. La gouvernance « familiale » de Castex dévoile son vrai visage : une politique de casse sociale tous azimuts, sur fond de pratiques qui ont tout du harcèlement des agents, le tout pour dégraisser toujours plus de masse salariale, avant la privatisation de pans entiers de la RATP.
Pour rejoindre le collectif des agents de la RATP victimes de la répression et de la CCAS, contactez-nous sur le site de Révolution Permanente.
Publié par REVOLUTION PERMANENTE