
L’Humanité, 12 novembre 2018
Lors de la première séance de discussions, le patronat a mis sur la table une architecture d’indemnisation des chômeurs à deux étages qui entérinerait la fin du dispositif actuel.
La négociation Unédic entamée ce vendredi pourrait bien être la dernière du genre. Avant de discuter les paramètres d’indemnisation des demandeurs d’emploi, le patronat a posé sur la table une nouvelle architecture du système à deux étages. Si le gouvernement a acté le remplacement des cotisations salariales par la contribution sociale généralisée (CSG) pour financer l’assurance-chômage (les cotisations patronales restant, elles, en place – NDLR), sapant le dispositif actuel, le Medef a décidé de porter l’estocade. Il propose la mise en place d’un premier étage, soit une partie principale dite de solidarité, alimentée par l’impôt. Une seconde partie assurantielle recevant les cotisations patronales, réduite à la portion congrue, viendrait en complément. Ce qui aboutirait à un chamboulement de structure et de philosophie.
Pour justifier cette casse, le patronat s’abrite derrière la promesse non tenue de l’État. Alors qu’il s’était engagé à reverser une somme de CSG équivalente à celle des cotisations salariales supprimées pour alimenter l’assurance-chômage, le compte n’y est pas. Comme l’explique Hubert Mongon, négociateur pour le Medef : « Dans le projet de loi de finances, il manque 200 millions d’euros. Nous avons la démonstration grandeur nature que l’État ne compensera pas à l’euro près. » Le patronat veut donc assurer ses arrières en instaurant des cloisons étanches entre les deux étages. « Nous craignons que le report de charge n’aille de l’impôt vers les entreprises (comme celles-ci versent des cotisations patronales – NDLR), on est en droit de se demander si on va servir de variable d’ajustement. »
Une proposition floue qui a soulevé moultes interrogations
Le Medef a beau affirmer que la gouvernance paritaire (syndicat et patronat) de cet édifice à deux strates sera maintenue, cette proposition floue a soulevé moultes interrogations. Pour Marylise Léon, de la CFDT, « il faut travailler une autre articulation. Il n’y a pas de refus de principe mais beaucoup de questions ».
Refus catégorique en revanche du côté de Michel Beaugas, négociateur pour FO : « Nous ne sommes pas favorables à un tel dispositif, ça consisterait à réinventer l’assurance-chômage complémentaire comme dans les années 1970. On préfère continuer à gérer un système incluant la CSG, plutôt que d’avoir un dispositif alambiqué qui finirait par baisser les droits des chômeurs. » Car l’inquiétude se fait jour. Avec cette architecture, le Medef souhaiterait imposer une règle d’or pour la caisse alimentée par les cotisations patronales, soit l’impossibilité d’être en déficit. Ce qui finirait par se répercuter fatalement sur les demandeurs d’emploi…
« Le cœur du sujet devrait être la lutte contre la précarité »
Même opposition pour Denis Gravouil, représentant de la CGT : « Le Medef pensait qu’on était tous d’accord, mais nous avons des idées différentes… Avec ce système, nous aurons toujours certains chômeurs avec de très petites allocations. » En arrivant au siège de l’Unédic, ce vendredi, il avait d’ailleurs déchiré la lettre de cadrage imposée par le gouvernement, contraignant syndicats et patronat à réaliser 3,9 milliards d’euros d’économies au maximum sur trois ans. « Avec les catégories B et C de Pôle emploi qui continuent d’exploser, le cœur du sujet devrait être la lutte contre la précarité, via la taxation des ruptures conventionnelles, le déplafonnement des cotisations, la fin des inégalités salariales hommes-femmes… Pour l’instant, on n’est pas dans le dur des discussions », constate le cégétiste.
En attendant, l’ambiance tendue est encore montée d’un cran après les déclarations d’Emmanuel Macron. Le président s’est immiscé dans les débats en rappelant sa volonté d’imposer un bonus-malus d’ici au début de l’année pour sanctionner les entreprises abusant des contrats précaires. De quoi susciter une nouvelle fois l’ire du patronat. Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, s’est empressé de tweetter : « Le bonus-malus imaginé par le gouvernement va détruire des CDD et des emplois intérim sans pour autant créer de CDI ! » Les discussions entre syndicats et patronat sont censées déboucher sur un éventuel accord à la mi-janvier. Prochaine séance de négociations, le vendredi 16 novembre.