Pendant 15 ans, banques et fonds spéculatifs ont trompé le fisc de nombreux États et empoché des milliards d’euros, grâce à des achats et reventes de titres boursiers savamment étudiés.

Les chiffres dépassent l’entendement. Ce jeudi, 19 médias internationaux, dont Le Monde, révèlent les dessous de l’une des plus grandes fraudes fiscales de ces dernières années. Baptisée « CumEx » et mise au jour en Allemagne par une contrôleuse des impôts déterminée, l’escroquerie a coûté 55 milliards d’euros à une dizaine de pays européens.

De quoi s’agit-il ?

Contrairement à de précédentes affaires de fraude, évasion ou optimisation fiscale, qui consistaient à éviter de payer les impôts dus aux États, la fraude « CumEx » est un vol commis dans les caisses de l’État, par une extorsion de l’argent du fisc.

Pour fonctionner, elle s’appuie sur une loi, en cours dans plusieurs pays, qui permet aux investisseurs étrangers de bénéficier de crédits d’impôts sur le versement de leurs dividendes (dans des cas particuliers, et, normalement, une fois que les investisseurs se sont bien acquittés de leur impôt).

Grâce à des montages financiers complexes, les fraudeurs parvenaient à échanger de manière industrielle des actions autour du jour de versement du dividende, si rapidement et à si grande échelle que l’administration fiscale ne pouvait plus en identifier le véritable propriétaire. Il ne restait alors plus aux fraudeurs qu’à se les approprier pour réclamer à l’État un remboursement d’impôts.

La combine a si bien fonctionné jusqu’en 2011 en Allemagne et jusqu’en 2017 dans d’autres pays européens, qu’un « impôt payé une seule fois (a pu) être récupéré plusieurs fois » voire même a été « récupéré sans avoir été payé », indique Le Monde.

Qui sont les fraudeurs ?

La mise en oeuvre de ce montage litigieux est attribuée à un avocat allemand de renom, Hanno Berger. Ancien haut fonctionnaire du fisc de Francfort, contrôleur de la Bourse et des banques, il a acquis une connaissance inouïe du milieu et de ses failles, avant de se reconvertir en fiscaliste pour conseiller banques, fonds spéculatifs et millionnaires sur la manière de payer le moins d’impôt possible. 

Année après année, l’homme a constitué autour de lui un petit groupe de connaisseurs, qui se retrouve en secret entre Londres et Francfort. Et la »boutique » vend ses services à des banques ayant pignon sur rue : Goldman Sachs, BNP Paribas… au total, « une cinquantaine de banques participent à ces schémas frauduleux », note Le Monde.

Pour les investisseurs, le placement est à risque zéro, et permet d’engranger des centaines de millions d’euros, directement prélevés dans les coffres de l’État.

Quelles conséquences pour les États ?

Jusqu’à l’enquête publiée ce jeudi, circulaient uniquement les estimations des sommes extorquées au fisc allemand, allant d’environ 30 milliards d’euros selon la presse à 5,3 milliards selon le ministère allemand des Finances.

Mais les investigations concluent que le « CumEx » a coûté 55,2 milliards d’euros à 11 Etats,  soit l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique, l’Autriche, la Finlande, la Norvège et la Suisse.

Pour l’Allemagne, l’enquête reprend la fourchette haute des estimations, soit 31,8 millions d’euros extorqués au fil, d’après les calculs déjà connus de Christoph Spengel, spécialiste de fiscalité à l’université de Mannheim.

L’escroquerie aurait aussi coûté « au moins 17 milliards d’euros » à la France, 4,5 milliards à l’Italie, 1,7 milliard au Danemark et 201 millions d’euros à la Belgique.

En France néanmoins, la fin du système d’avoir fiscaux en 2005 aurait permis de limiter les dégâts, rendant impossible le mécanisme de « CumEx ».

Quelles retombées judiciaires ?

L’affaire a éclaté en 2012 en Allemagne, entraînant l’ouverture de six enquêtes pénales. Parallèlement, le pays a voté en urgence une réforme fiscale qui interdit les avoirs et le « CumEx ».

Un premier procès devrait se tenir en 2019 à Wiesbaden, contre Hanno Berger et plusieurs de ses associés, aujourd’hui expatriés en Suisse ou à Dubaï. Les banques, elles, pourraient être poursuivies au civil, car en Allemagne, une « personne morale » ne peut être poursuivie au pénal.

Publié par anti-k.org