Il est difficile de s’attaquer au commerce équitable sans s’attirer les foudres de ses défenseurs. C’est pourtant ce qu’entreprend Donatien Lemaître avec brio dans le documentaire « Le business du commerce équitable » (France, 2013, 1h20), diffusé ce mardi à 22h25 sur Arte.
Donatien Lemaître montre au grand jour les problèmes de harcèlements sexuels sévissant dans les plantations d’Unilever au Kenya.
Le commerce équitable s’est développé. A-t-il réussi à garder ses objectifs initiaux ou a-t-il été récupéré par les multinationales en manque d’image ? Voici la question à laquelle a voulu répondre Donatien Lemaître dans « Le business du commerce équitable ».
Le label Fairtrade / Max Havelaar est le label du commerce équitable le plus répandu en Europe ; il est apposé sur 75 % des produits issus du commerce équitable. L’ONG internationale Fairtrade, responsable du label, représente aujourd’hui 1,3 million de producteurs et de travailleurs organisés au sein de plus de 1 100 groupes dans 70 pays. Elle travaille avec plus de 3 000 entreprises à travers le monde.
L’enquête de Donatien Lemaître montre comment les petits producteurs de cafés labellisés gagnent en général à peine plus que les autres producteurs. S’ils sortent de la pauvreté extrême, peuvent scolariser leurs enfants et recevoir des soins grâce à la prime de développement, ils ne sortent jamais réellement de la pauvreté. Dans une coopérative du Chiapas, au Mexique, Donatien Lemaître montre comment la prime de développement de 72 000 euros reçue en 2011 a servi à construire une pièce supplémentaire dans chaque maison avec un four écologique.
Et pourtant, même si les enseignes de la grande distribution déclarent ne pas prendre de marge supérieure pour ces produits, ce commerce fait leurs affaires. Les grandes marques ne s’y sont pas trompées : les glaces et barres chocolatées dans grandes multinationales déclinent désormais leurs produits en version « équitable ».
Philippe Juglar, ancien négociant de café, affirme que la totalité de la chaîne de l’équitable est payée par le consommateur. « Les intermédiaires, négociants, transporteurs, torréfacteurs, etc. ne font pas d’efforts sur leur marges parce que c’est du commerce équitable, et les distributeurs, je pense, en moyenne, ont plutôt une marge supérieure car ils font du commerce équitable », explique-t-il. Ces critiques sont bien connues et régulièrement adressées à l’encontre du commerce équitable, puisque rien n’encadre les marges de la distribution dans le cahier des charges de Max Havelaar.
Less plantations de bananes en République Dominicaine
La République dominicaine produit 35 % des bananes équitables produites dans le monde. Donatien Lemaître observe que, dans les plantations de bananes de République Dominicaine, des petits propriétaires ayant obtenu le label Max Havelaar ont pour main-d’œuvre des travailleurs haïtiens sans-papiers payés 4 à 5 euros par jour. Le petit producteur fait partie du processus, mais pas le travailleur. Ainsi, le commerce équitable a ses coopératives, ses programmes de développement, mais aussi ses forçats invisibles… Le problème apparaît également dans des grandes plantations labellisées, même s’il est vrai que les papiers des travailleurs y sont en règle. Max Havelaar y a donné son label aux grands propriétaires terriens, dont une Hollandaise possédant 215 ha de plantations.
« Si les petits producteurs améliorent leurs conditions de vie, on oublie de dire qu’ils ont souvent des ouvriers qui continuent de vivre, eux, dans la misère », s’indigne Donatien Lemaître. « Pour certains produits comme la banane, l’organisation donne son label à de grands propriétaires terriens qui s’enrichissent grâce au système de prix garantis », précise-t-il.
Rainforest Alliance : l’équitable selon les multinationales
Donatien Lemaître s’intéresse aux multinationales de l’agroalimentaire et constate qu’au Kenya, le partenariat entre Rainforest alliance et Lipton (groupe Unilever) a profité à la marque et à la faune et à la flore locales, mais pas réellement aux travailleurs occasionnels des plantations de thé. Rainforest Alliance n’est pas du commerce équitable puisqu’il ne garantit pas de prix minimum aux producteurs et attire donc plus facilement les multinationales à la recherche d’image et de profits.
Rainforest Alliance certifie 14 000 hectares de thé pour Unilever au Kenya. 12 500 personnes vivent dans les villages construits aux abords des plantations. 4 000 travailleurs saisonniers rejoignent les rangs pendant les périodes de récoltes.
Trois travailleuses d’Unilever témoignent : le harcèlement sexuel des contremaîtres est monnaie courante dans les rangs de la plantation. Face à ce problème, Rainforest Alliance demeure pieds et poings liés, car le partenariat avec Unilever reste l’un de ses plus importants. Y renoncer entraînerait des pertes économiques considérables.
Max Havelaar réagit avant la diffusion du documentaire !
Max Havelaar n’a pas attendu la diffusion du documentaire pour réagir. Dans un communiqué en date du 2 août, l’association défend son action et précise surtout la dure réalité de terrain, loin de l’image idéale du commerce équitable, trop souvent véhiculée dans les médias.
Max Havelaar dit mettre en place un système de contrôle très strict, via l’organisme de contrôle Flo-Cert. Cet organisme dispose d’une centaine d’auditeurs dans le monde pour contrôler l’ensemble des coopératives et des paysans ayant le label Max Havelaar. Les contrôles ne pouvant pas se faire partout en permanence et les producteurs étant très éparpillés, savoir identifier les zones à risques est capital. Max Havelaar défend son mode de certification et rappelle qu’ « en 2012, FLO-CERT a suspendu au total 141 organisations de producteurs et 41 acheteurs (dont respectivement 35 et 12 ont au final perdu leur certification) ». Les pratiques déviantes seraient donc bien identifiées et les coopératives en question exclues du système.
Suite à l’adoption d’une nouvelle Stratégie sur les Droits des Travailleurs en 2012, « une révision complète des cahiers des charges pour les organisations de producteurs qui ont une partie de leur main d’œuvre salariée est en cours afin d’améliorer la conformité avec les Conventions de l’OIT et afin de mieux responsabiliser les travailleurs sur les plantations », ajoute l’organisation.
Après la diffusion du documentaire, Max Havelaar a à nouveau réagit en répondant point par point aux critiques du documentaires. Leur réponse complète est retranscrite sur Max Havelaar répond au « business du commerce équitable ».
Ces explications suffiront-elles à garder la confiance des consommateurs ? « Un label éthique, c’est toujours mieux que rien du tout. Même s’il présente des imperfections, on a grâce à lui un début d’information sur la manière dont sont produits notre thé, nos bananes, notre café à l’autre bout du monde », reconnaît Donatien Lemaître. Pour un produit entièrement vertueux, il recommande de privilégier les petites boutiques, les circuits alternatifs et associatifs, comme Artisans du Monde qui refuse de travailler avec les grandes et moyennes surfaces, pour renforcer les systèmes alternatifs et éviter que la grande distribution s’enrichisse au tournant.
En avril 2013, Pascal Canfin, ministre délégué au Développement auprès du ministre des Affaires étrangères, et Benoît Hamon, ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire et à la Consommation, ont présenté un plan de soutien au commerce équitable. Ce plan prévoit 7 millions d’euros de financement sur 3 ans et vise un triplement des ventes en 3 ans. Et pour cause : le panier moyen actuel de produits issus du commerce équitable ne s’élève qu’à 6,24 € par français et par an !
Auteur : Matthieu Combe