L’officialisation par l’Insee, mardi, du dérapage des déficits publics en 2023 à 5,5 % du PIB, au lieu des 4,9 % prévus, a relancé la frénésie d’idées de coupe dans les budgets sociaux. L’assurance-chômage, qui a déjà subi deux réformes austéritaires, se retrouve dans le viseur du gouvernement. Invité du 20 heures de TF1, ce mercredi 27 mars, Gabriel Attal a annoncé qu’il y aurait « une réforme de l’assurance-chômage cette année ». Sans trancher sur les contours de celle-ci, il a rappelé que l’un des paramètres était « la durée de l’indemnisation de l’assurance-chômage ». Une ineptie, pour Denis Gravouil, membre du bureau confédéral de la CGT en charge de la protection sociale.
Le gouvernement justifie la nécessité d’un nouveau tour de vis sur l’assurance-chômage par le « dérapage » des comptes publics : qu’en pensez-vous ?
Denis Gravouil
Que le gouvernement n’assume jamais ses responsabilités. En quoi les chômeurs ont-ils joué un rôle dans la hausse du déficit que l’exécutif a été incapable de prévoir ? C’est la politique économique du gouvernement qui est en échec : les saignées libérales n’ont pas produit leurs effets et voilà qu’ils nous expliquent que nous aurions besoin de nouvelles saignées.
Toutes les études montrent que la réduction des droits des chômeurs, fil rouge de la politique macroniste, n’a aucun effet sur le niveau de l’emploi. En revanche, on sait que ces réformes ont favorisé l’appauvrissement des personnes concernées. La question du déficit est surtout un prétexte utilisé par le gouvernement pour justifier de nouvelles mesures contre les chômeurs.
Dans l’histoire de la Ve République, aucun chef d’État n’avait autant réformé l’assurance-chômage : quelle est la logique poursuivie ?
Denis Gravouil
Il s’agit à la fois de réaliser des économies sur le dos de la protection sociale, tout en obligeant les privés d’emploi à accepter des emplois dégradés. Dans les États autoritaires, les pouvoirs en place inventent les chiffres. Dans les États démocratiques, ils mettent en avant les chiffres qu’ils veulent.
L’exécutif ne cesse de communiquer sur le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) ou sur les inscrits à Pôle emploi comptabilisés dans la catégorie A, c’est-à-dire des gens qui n’exercent aucune activité. Mais je rappelle que, sur 6,2 millions de personnes inscrites à France Travail (ancien Pôle emploi), plus de la moitié passent d’un petit boulot à un autre.
Les catégories B et C (personnes exerçant une activité réduite) sont invisibilisées dans le débat public, or ce sont celles qui ont le plus augmenté depuis les années 1980. D’ailleurs, lorsque les gens quittent la catégorie A, c’est souvent parce qu’ils ont retrouvé un petit boulot, ce qui les fait basculer dans les autres catégories. Cette précarité n’est jamais montrée.
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement semble cibler spécifiquement les seniors…
Denis Gravouil
Jusqu’en 2021, les premières victimes des réformes de l’assurance-chômage étaient les travailleurs précaires, et notamment les jeunes qui mettent des années à trouver un emploi stable après leurs études. Depuis, on voit que le gouvernement s’en prend à de nouvelles cibles. Depuis le 1er février 2023, la durée maximale d’indemnisation a été réduite par décret de 25 % : les plus touchés sont les seniors, qui se retrouvent souvent à Pôle emploi après avoir perdu leur poste en CDI.
Je veux insister sur les effets combinés de la réforme des retraites et de cette baisse de la durée d’indemnisation. De nombreux chômeurs âgés de 55 ans et plus vont se retrouver avec 27 mois d’allocations seulement, contre 36 mois dans l’ancien système. Ils vont donc perdre neuf mois de chômage, mais ils risquent aussi de se voir priver d’ASS (allocation de solidarité spécifique, destinée aux chômeurs en fin de droits – NDLR), que le gouvernement a promis de supprimer.
Enfin, ils subiront les effets du report de l’âge de départ à la retraite. Autrement dit, des milliers de chômeurs âgés d’une soixantaine d’années risquent de se retrouver sans rien, ni emploi ni allocation. Il y a là un risque social considérable, qui peut se doubler d’un risque politique dans la perspective des élections de 2027 : on sait à quel point la précarisation peut alimenter le vote d’extrême droite.
Le gouvernement met souvent en avant les difficultés de recrutement pour justifier de nouvelles mesures : crédible, selon vous ?
Denis Gravouil
Ce raisonnement ne tient pas debout. Les offres d’emploi non pourvues s’élèvent à environ 300 000 par an, ce qui signifie que l’immense majorité des offres déposées chaque année trouvent preneur. S’il y a des difficultés dans certains secteurs, comme les hôtels-cafés-restaurants, c’est lié aux conditions de rémunération.
Prenons le cas des saisonniers : quand vous proposez à un travailleur de venir bosser au Smic dans une station balnéaire, et qu’il sait qu’il dépensera l’équivalent de son salaire en transport et logement sur place, comment voulez-vous qu’il accepte ?
Lorsque les restaurateurs parviennent à loger leurs saisonniers, tout le monde sait qu’ils n’ont aucune difficulté à recruter. La question des emplois non pourvus sert à nourrir l’idée reçue selon laquelle les chômeurs ne voudraient pas travailler. Ce qu’ils veulent, c’est un emploi digne, à la hauteur de leurs qualifications, pour un salaire correct.